Lucienne Collet, agrégée de Lettres, ancien professeur au lycée Louis-le-Grand, auteur d’un article sur le site, est décédée samedi 4 août 2012 d’un cancer.
Toutes ces dernières années, jusqu’au 11 juin 2012, date de sa première hospitalisation, elle a continué ses activités, en dépit de la pénibilité de ses soins médicaux et en toute lucidité, comme si de rien n’était: cours de français aux jeunes immigrés afghans, le jeudi ou le vendredi ; groupe de traduction de grec ancien, le mardi, où elle traduisait à livre ouvert Sophocle ou Euripide. Elle disait elle-même que c’est ce qui la faisait « tenir ».
L’instruction et les langues anciennes étaient pour elles des passions, au sens actif du terme. Toute petite, elle aimait l’école. Sur le conseil d’un officier de la caserne où lui-même travaillait à l’entretien du matériel à Lyon, son père eut l’idée de l’inscrire au lycée de préférence au collège moderne du quartier : au lycée, on apprenait le latin en sixième. Durant son année de sixième, une jeune professeur remplaçante, passionnée de grec, lui révéla qu’elle pouvait aussi étudier cette langue en classe de quatrième. L’étude du latin et du grec marqua pour elle l’entrée dans un univers qu’elle passa sa vie à explorer de différentes façons.
A son tour, elle enseigna grec et latin au lycée de Saint-Amand-Montrond dans le Cher, au Lycée d’Amiens, au collège Jean Lurçat à Villejuif dans le Val-de-Marne, où elle participa à un échange franco-québécois, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris. Elle se lança dans une recherche personnelle sous la direction de Jean-Pierre Vernant, portant sur la symbolique du taureau dans la Grèce ancienne. Elle parcourut la quasi-totalité de l’espace gréco-romain lors de divers voyages dont le dernier eut lieu en Jordanie.
Au lycée Louis-le-Grand, avec d’autres collègues, elle fut à l’origine d’une tradition de voyages d’élèves en Grèce, Italie et Sicile, Asie Mineure, Afrique du nord, et d’un projet européen Comenius. Ayant pris sa retraite, elle était toujours d’accord pour aider élèves et étudiants à passer bac, master ou même agrégation, par des cours particuliers.
Si elle se lança, en lien avec l’association Afrane, dans des actions en faveur de deux lycées de Kaboul, ce n’était pas sans savoir que l’Afghanistan était l’ancienne Bactriane du grand Alexandre. C’est ainsi que ses deux passions premières se rejoignirent en une troisième, celle de l’Afghanistan. Lucienne voulait que continuent à vivre dans nos esprits les mondes fondateurs de l’antiquité et en même temps favoriser l’instruction. Elle enseignait elle-même le français aux jeunes immigrés afghans, avec pour but une utilité pratique.
Comment ne pas évoquer surtout sa passion de l’amitié ? Sans plus aucune famille, Lucienne était entourée d’amis rencontrés à différentes époques de sa vie, dont elle cultivait l’amitié avec chaleur et vivacité, avec générosité, non sans exigence. La fidélité de ses amis témoigne de son « art » de l’amitié, comme peut l’attester l’auteur de ces lignes.
Voici, pour donner une idée de l’espérance qui l’animait, le premier poème – un texte d’Andrée Chédid – qu’elle récita lors des « récréations » poétiques de notre petit groupe de grec:
J’ai ancré l’espérance
Aux racines de la vie
Face aux ténèbres
J’ai dressé des clartés
Planté des flambeaux
A la lisière des nuits
Des clartés qui persistent
Des flambeaux qui se glissent
Entre ombre et barbaries
Des clartés qui renaissent
Des flambeaux qui se dressent
Sans jamais dépérir
J’enracine l’espérance
Dans le terreau du cœur
J’adopte toute l’espérance
En son esprit frondeur
Une amie de Lucienne
Lucienne Collet, dame de cœur
Une grande dame s’en est allée le 4 août 2012. Pour son dernier voyage, elle avait revêtu sa plus belle robe afghane, pour dire tout l’amour qu’elle éprouvait pour les Afghans qui, en dehors de ses amis fidèles, étaient devenus sa famille « choisie » de ses dix dernières années.
Lucienne était aussi discrète que bavarde et nous ne saurons pas tous ses secrets. Mais en mettant bout à bout ce que nous avons appris d’elle, nous pouvons esquisser le portait de cette femme de cœur.
Lucienne a fait toute sa carrière dans l’enseignement. Elle avait choisi les lettres classiques, français, latin, grec, qui l’ont emmenée d’un collège en ZEP (zone d’éducation prioritaire) au réputé lycée Louis Le Grand en passant par le Canada. Elle a organisé de fabuleux voyages avec ses élèves autour du bassin méditerranéen, en Grèce notamment, helléniste oblige. Elle n’avait de cesse de partager sa très grande culture. Alexandre le Grand et une amie l’ont mise sur le chemin de l’Afghanistan et de sa musique. C’est ainsi qu’au lycée elle a organisé des concerts, fait graver des disques, souhaitait créer un jumelage entre les deux lycées Esteqlal et Louis Le Grand. Arrivée à l’âge de la retraite, elle s’est consacrée corps et âme à faire connaître l’Afghanistan. Que ce soit pour promouvoir la culture afghane – le musée Guimet ou le Théâtre du Soleil n’avaient pas de secrets pour elle – pour organiser des concerts ou des séances de cinéma ou rédiger des notes de lecture pour les Nouvelles d’Afghanistan, Lucienne ne ménageait pas sa peine. Mais son temps elle le passait aussi auprès des réfugiés afghans à Paris : les initier au français dans le cadre de l’association FLA, Français Langue d’Accueil, collecter des sacs de couchage ou des chaussures, faire fabriquer des agendas pour leur faciliter la vie ou les emmener au spectacle, rien ne l’arrêtait.
La cause afghane était devenue une raison de vivre, les Afghans une famille.
Quelques touches complémentaires recueillies auprès de ses amis :
De sa mère couturière, Lucienne avait appris le travail méticuleux et modeste qui peut transformer un morceau de tissu en une œuvre d’art. Coquette jusqu’au dernier jour, elle ajoutait sa patte originale pour décorer un stand et le rendre chaleureux.
D’une droiture à toute épreuve, elle avait un sens aigu de l’éthique et n’hésitait pas à donner son avis, au risque de provoquer des inimitiés.
De son pas menu, Lucienne aimait « gravir des montagnes », relever des défis ; plus c’était difficile, plus elle s’acharnait, n’hésitant pas, par exemple, à trier des milliers de livres pour les envoyer aux écoliers de Kaboul, ou à harceler les gens de la RATP afin d’obtenir un emplacement gratuit pour une magnifique affiche de la vente d’artisanat d’AFRANE ou même à transporter des objets encombrants dans le métro alors que les forces lui manquaient.
Ses dernières pensées ont été encore pour ses amis afghans, elle regrettait tant de ne plus pouvoir assurer ses cours de français et elle aurait tant aimé visiter leur pays qu’elle ne connaissait pas !
Active à AFRANE depuis 2002, elle faisait partie du Conseil d’Administration depuis 2008.
Sa présence nous aura marqués, car elle vivait vraiment l’amitié entre Afghans et Français, notre raison d’être.