Théâtre: L’homme inutile, de Iouri Olecha. Auteur: Martine Delrue

                                       Théâtre ou mise en théâtre ?

 

L’homme inutile,  de Iouri Olecha,  mise en scène Bernard Sobel , La Colline. Du 9 septembre au 8 octobre 2011.

Voici un homme entre deux siècles, né à la charnière, au tournant, en 1899, suspendu entre deux mondes, écartelé entre l’Ancien – le bourgeois- et le Nouveau – l’homme à créer. Lorsqu’il écrit, à Moscou, dans les dernières années de la Nouvelle Politique Economique, Iouri Olecha incarne cette opposition fondamentale dans une confrontation mythique : Abel et Caïn s’affrontent dans  l’Homme inutile ou la confrontation des sentiments, pièce qu’il a tirée  lui-même, en 1929,  de son  roman L’Envie, publié deux ans auparavant. Et en effet tout  oppose ces deux personnages.

 Andreï est l’aîné. L’union du socialisme et de la technique va permettre de réaliser la Grande Utopie. Ordonné, méticuleux, froid, sec et maigre, homme de maîtrise, à la mèche raide, Andreï gère le combinat alimentaire qui produira  bientôt des millions de saucissons à 35 kopecks. Nous le voyons, dès l’ouverture, dans son bureau haut perché, au sommet du praticable, à l’image des tours du décor, qui dressent vers le ciel leurs carreaux rouges. Sa prestance en impose. Tandis que ses costumes de plus en plus blancs disent sa transformation en capitaine d’industrie capitaliste, son humanité décroît. Pas de temps à consacrer à la jeune fille qu’il a ravie à son frère. Elle a beau tournoyer autour de lui, léger faune dansant, automate gracieux, elle ne le touche pas. Trop occupé déjà par le pouvoir sur les cités terrestres, il est séparé de tout attachement.

Face à lui, Abel l’homme à l’existence précaire, ici nommé Ivan, le frisé au chapeau melon, aux bonnes joues rebondies, apparemment le galeux, le sanguin, se fait remarquer par l’oreiller jaune qu’il promène partout. Diablotin qui affirme son goût pour le dieu des morts, à savoir les sentiments qui régnaient dans l’ancienne humanité, la vanité, l’envie, la jalousie, l’amour et que l’homme nouveau dédaigne ou ignore. Outrancier et désordonné, il endosse aussi le costume de l’auguste face au clown blanc sérieux et rationnel.

Autour d’eux gravite l’étudiant romantique traditionnel, incapable d’agir et désespéré.

C’est un spectacle qui regorge d’idées d’intéressantes. Pourtant le débat philosophique, l’opposition qui est au fondement même de la pièce, les allusions historiques (un médecin en blouse blanche, des ouvriers à la casquette emblématique) ne suffisent pas. Il manque à cette réflexion un milieu, une fin  et une intrigue plus resserrée. Pourquoi l’écrire sous forme théâtrale ? Malgré la gymnaste au ruban rouge, malgré les figures de clown, malgré des décors très réussis, malgré même la nef des fous qui apparaît au centre de la pièce et la présence remarquable des deux acteurs principaux, le temps paraît  long.  Or Olecha aimait écrire : «  Pas un jour sans une ligne », note-t-il dans son Journal. La farce grotesque des frères ennemis se lirait  plus volontiers dans un fauteuil.

 

                                                                                  Martine Delrue

 

 

 

 

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