Comme pour illustrer la formule « mens sana in corpore sano », l’édition 2012 du classement mondial des universités par l’université Jiao Tong de Shanghai a été publié le 14 août après deux semaines consacrées aux jeux olympiques.
D’après ce classement annuel, établi depuis 2003, 53 universités américaines figurent dans le « top 100 », 9 britanniques, 5 australiennes, 4 japonaises, 4 allemandes, 4 canadiennes, 3 françaises, mais aucune chinoise.
Cependant, dans la liste des 500 premières, après les Etats-Unis (150 universités), la Chine, avec 42 universités, ravit le deuxième rang au Royaume-Uni (38). Vient ensuite l’Allemagne (37) et au 7ème ou 8ème rang, à égalité avec l’Italie, la France place 20 universités, une de moins qu’en 2011 et deux de moins qu’en 2010.
Les indicateurs retenus, centrés sur la recherche scientifique, sont principalement les suivants:
– nombre de prix Nobel et de médailles Fields (pour les mathématiques) parmi les anciens élèves et parmi les chercheurs ;
– nombre de chercheurs et d’articles les plus cités;
– articles publiés dans Nature, revue britannique, et dans Science, revue américaine…
On sait que ce classement est intellectuellement déficient, mais la presse française lui fait néanmoins chaque année une large publicité souvent masochiste.
En ce qui concerne le mauvais score français, elle a rappelé tout de même que le premier établissement de recherche en France n’est pas l’université, mais le CNRS; or, un article de recherche « rédigé au nom de cet organisme » (sic) sera « perdu » pour le classement de Shanghai. De plus, un avantage excessif est accordé aux publications dans des revues anglo-saxonnes..
Cela dit, la presse ne met pas assez clairement en évidence le fait qu’il s’agit, non pas d’un palmarès par pays, mais d’un classement des universités prises séparément, et surtout le fait que les grandes universités à gros effectifs et gros budgets s’y trouvent avantagées (si l’on excepte, en ce qui concerne la France, le cas de l’ENS-Ulm, fabrique de médailles Fields). Les indicateurs de Shanghai ont à 90 % des effets de taille, bénéfiques pour le rang de classement: à qualité égale, plus les effectifs d’une institution seront nombreux, plus ses chercheurs produiront et seront cités. Et plus le budget sera gros, plus l’institution sera en mesure d’attirer et de retenir les chercheurs les plus renommés.
Plusieurs universités françaises ont donc pris le parti de grossir, en fusionnant entre elles: par exemple les universités de Strasbourg, celles de Lorraine, ou encore celles d’Aix-Marseille…
Le mot d’ordre universitaire semble être actuellement : « big is beautiful », contrairement au « small is beautiful » de naguère. Mais la question est de savoir, au-delà de l’ambition de progresser dans un classement biaisé, s’il vaut mieux, pour les universités françaises et européennes, prendre du volume, ou progresser dans la voie d’un développement en réseau.
Les appréciations françaises portées sur ce classement sont faussées par des arrière-pensées, y compris de la part d’universitaires qui devraient le contester de la façon la plus claire au nom de la vérité. On entrevoit quelques raisons pouvant expliquer ce manque de netteté dans les réactions: occasion de demander plus de crédits; espoir de recentrage de la recherche au profit des universités proprement dites; course à la taille et « autonomisation » pour des raisons budgétaires et autres…
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