29.03.2022
Je suis allé en Ukraine vers 1990 et j’en ai rapporté un sonnet qui figure dans mon recueil Aérogrammes, résumant mes impressions assez tristes de ce moment-là, qui ne sont pas plus joyeuses aujourd’hui, à cause de la guerre entre Moscou et Kiev. Il n’y a rien de pire que les antagonismes opposant des frères (ou supposés tels) qui en viennent à se déchirer et à se détester. Il n’y a rien de pire que l’autodestruction à laquelle aboutit ce type de conflits. C’est probablement ce à quoi on a commencé à assister au début de 2022 en voyant la Russie détruire systématiquement l’Ukraine qui risque d’échappe à son emprise. Staline avait déjà fait montre dans les années 1930 d’une brutalité semblable en affamant les paysans ou « koulaks », notamment ukrainiens, qu’il voulait collectiviser. L’occident (Europe de l’ouest et Amérique du nord) a pris d’emblée le parti de l’Ukraine plus occidentalisée, parce que les services secrets américains y ont vu l’occasion d’abattre définitivement ce qui restait de leur ennemi centenaire, l’URSS, dont Vladimir Poutine est resté pour eux l’incarnation, après un siècle de lutte. L’occident européen croit maintenant pouvoir réduire Poutine à sa merci en cessant de lui acheter son gaz, mais de l’avis de beaucoup il risque surtout de se nuire à lui-même en essayant de renoncer à un bien qui lui est indispensable.
J’ai gardé de l’Ukraine une idée d’hiver triste
Lorsque je suis allé quelque peu masochiste
Passer trois jours à Kiev une brève mission
Que dire à ce sujet ma mémoire est de plomb
Je n’en ai retenu qu’à peine quelques bribes
Dont je n’ai pas été ni le scrupuleux scribe
Ni l’auteur inspiré pouvant transfigurer
Ce pays pourquoi donc m’y suis-je aventuré
J’ai vu dans la banlieue qui déroule sa plaine
Des barres d’habitat des lourdeurs suburbaines
Un fleuve qui est né d’anciennes glaciations
Imposant son long cours ses larges dimensions
Sur cette terre noire au sol riche en humus
Auquel aucun relief ne sert de terminus
Jusqu’ici je croyais que le peuple ukrainien
Était frère du russe un peuple mitoyen
Mais depuis que Poutine en tant que nouveau tsar
A lancé dans l’assaut ses avions et ses chars
L’Occident face à lui ne sait où se tourner
Pour percer le secret des volontés cachées
Dans les explications des vieux kremlinologues
Dans les troubles décrits par les criminologues
Chacun à l’est à l’ouest est prêt à s’estropier
En se tirant vengeur des balles dans le pied
Sous le grand parapluie de forces nucléaires
Dans l’interdépendance où l’on peut payer cher
Des sanctions boomerangs qui vont se retourner
Contre celui qui croit qu’il peut les déclencher
Sans subir en retour aucun effet notable
Au point d’imaginer qu’il est inatteignable
Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup inattendu
Qu’il s’inflige à lui-même en ce combat tordu