L’ÂGE D’OR DE LA PEINTURE DANOISE (1801-1864).
Exposition au MUSEE DU PETIT PALAIS. Dates présumées: 22 sept.2020-3 janv. 2021
Cette exposition est présentée dans les musées de Copenhague, de Stockholm et du Petit Palais. Le catalogue est rédigé essentiellement par les conservateurs et historiens d’art scandinaves. Ils s’expliquent sur les motifs qui les ont amenés à prolonger jusqu’en 1864 la période de « l’âge d’or », identifié ordinairement aux cinq premières décennies du XIXe siècle. Cette date marque la défaite du Danemark en face de la Prusse qui annexe les duchés de Schleswig et de Holstein; or, depuis 1850, moment des premiers troubles civils, un certain nombre de peintres ont continué à travailler dans l’esprit et le style de leurs prédécesseurs et ce sont ces artistes moins connus à qui l’exposition prétend rendre l’importance qu’ils méritent. D’où le nombre important d’œuvres exposées. Quant au terme de « l’âge d’or », il a d’abord renvoyé à l’essor de la littérature – on pense à Andersen et à Kierkegaard – pour s’étendre au développement artistique et au rayonnement de cette époque.
L’exposition est thématique. Elle met en évidence dans les premières salles le rôle capital de l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague. L’atmosphère de travail studieux et collectif est bien suggérée par de jeunes peintres, Bendz et Blunck. Wilhem Bendz réalise un beau tableau luministe (les cours ayant lieu le soir à la lumière électrique), intitulé « L’école de modèle vivant à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague » (1826). Il fait aussi de son collègue, Ditlev Blunck, un portrait qui le montre regardant une esquisse dans un miroir, remarquable par la virtuosité de la composition. Quant au portraituré, avant de montrer les artistes danois à Rome, il exerce son talent, parfois humoristique, toujours observateur, sur ses camarades, entre autres les frères Sonne, l’un graveur, l’autre qui aspirait à devenir peintre de batailles (Jørgen Sonne, entouré d’attirail guerrier, devra attendre les années 50 pour évoquer un combat réel) .
On revoit Bendz dans la section des portraits de famille et on y admire son originalité. Il est mort trop tôt, en 1832, il n’a que 28 ans.
En 1818 les deux chaires principales de l’Académie sont vacantes; elles sont attribuées à deux peintres-professeurs qui vont l’un et l’autre influencer fortement leurs élèves, Eckesberg et Lund.
Christoffer Wilhem Eckesberg : » Vue de Rome à travers trois arches du troisième étage du Colisée » (1815)
Les parcours d »Eckesberg et de Lund sont voisins : ils ont tous les deux reçu les leçons du grand peintre néo-classique Abilgaard, puis suivi à Paris l’enseignement de David. Leurs principes de formation sont les mêmes. Avant de pratiquer la peinture d’histoire comme Lund ou de s’intéresser au paysage comme Eckesberg, l’adolescent entré à l’Ecole doit suivre un cursus astreignant et progressif qui privilégie l’enseignement du dessin : copie de maîtres anciens, copie de modèles classiques en plâtre, étude de modèle vivant, tandis que la peinture est enseignée de maître à élève, individuellement. Les concours de fin d’études attribuent des médailles, celles-ci donnant accès à des bourses de voyage qui permettent aux jeunes artistes de faire le Grand Tour. Rome en est l’étape essentielle, mais cela n’exclut pas des séjours dans certaines académies allemandes comme Dresde ou Munich. A Rome, les Danois se retrouvent entre eux et constituent des sortes de colonies. En 1837 Constantin Hansen peint « un groupe d’artistes danois à Rome », où nous retrouvons des peintres connus, groupés sagement autour d’un ami architecte coiffé d’une chéchia, qui évoque son séjour à Athènes et à Constantinople accompagné de Martinus Rørbye, lui aussi représenté. Certains iront chercher des paysages de rochers à Capri ou des vues idylliques de campagne à Olevano, mais leur inspiration est surtout alimentée par les monuments romains, le Forum, le temple de Vesta, le Colisée, des églises. Ces nordiques captent la couleur locale. Ils séjournent longtemps à Rome et sont aussi sensibles à la ville moderne, à ses quartiers populaires, à certains types de personnages pittoresques. En témoignent de nombreux dessins, des aquarelles et de petites peintures sur carton parfois collées sur toile.
Lund a, de son côté, tiré des leçons de ses nombreuses années romaines, où il a fréquenté les peintres nazaréens. Ceux-ci pratiquent une peinture lisse et sont inspirés par la première Renaissance. Lund suit leur style et leurs aspirations quand il exécute de nombreux tableaux religieux. Mais il va évoluer vers un romantisme national qui éclot vers les années 30, influencé par un historien de l’art, Niels Laurits Høyen. Celui-ci prône le retour aux sources scandinaves, aux mythes premiers, aux paysages nordiques. Lund nous en donne une parfaite et conventionnelle illustration dans la toile intitulée « Le dernier barde » qui montre un vieil homme méditant mélancoliquement, sa lyre à la main, et surplombé par un dolmen, témoignage des temps antiques.
Eckesberg est un grand dessinateur, amoureux de la perspective et du détail précis, et un grand peintre, aussi doué pour le portrait (celui du sculpteur néo-classique Thorvaldsen est un chef-d’œuvre) que pour la peinture de paysages, mer et ciels. Il joua un rôle important dans l’évolution de la peinture au Danemark en préconisant la peinture en plein air, nouveauté capitale dans l’atmosphère du néo-Classicisme. Il conseille aussi à ses élèves de choisir des sujets qu’on peut voir et rendre avec réalisme. Il lui arrive de saisir le fantastique de situations apparemment anodines, ce qui lui inspire « Scène de rue avec la pluie et le vent » ou « Langebro au clair de lune avec des personnages qui courent » (1836). On mesure le chemin parcouru depuis le froid et très bien peint « Les adieux d’Alcyone à son époux » (1815).
On retrouve cette double postulation chez Constantin Hansen : il représente librement des jeunes garçons s’ébattant et se baignant nus dans la campagne romaine, mais il peindra un tableau d’histoire scandinave « Le banquet d’Aegir » qui met en scène des personnages néo-classique aux poses solennelles.
L’une des caractéristiques essentielles de la peinture danoise est un réalisme si précis qu’il se rapproche de certains mouvements postérieurs, comme celui du réalisme magique au XIXe. C’est particulièrement frappant dans le genre du portrait, que ce soient des portraits individuels ou de groupe, amis ou familles, ou des portraits d’enfants. Evoquons entre autres le portrait du jeune fils d’Eckesberg, Julius, qui, sur l’arrière-fond géométrique de l’atelier paternel, déploie avec gravité une gravure ou un dessin (Christen Købke 1831) .Le réalisme se double parfois de satire sociale, comme dans les scènes de rue de Wilhem Marstrand. Une toile de Rørbye peint la foule qui se presse devant la Prison de l’Hôtel de ville et du palais de Justice : des gandins s’y affairent au milieu des mendiants, tandis qu’un nouveau Diogène s’avance, lanterne à la main.
Il faut faire une place de choix à l’un des meilleurs peintres parmi cette pléiade d’artistes, Christen Købke (1810-1848). L’exposition montre des copies de sculptures de Thorvaldsen et des dessins, essentiellement des portraits. Les lieux évoqués sont de proximité, selon qu’il habite près de la citadelle (Kastellet) ou près des lacs de la périphérie de la ville. Le traitement est souple et harmonieux, la matière lisse, les couleurs lumineuses. On ressent une impression de temps suspendu. Citons : « Vue du haut d’un grenier à blé dans la citadelle de Copenhague » ( 1831) , « Vue d’Østerbro dans la lumière matinale » (1836). « Petite tour du château de Frederiksborg » (1834-35). Il donne du château des visions romantiques, à la Friedrich, ou d’une précision extrême et frappante.
Christen Købke : « Petite tour du château de Frederiksborg » (1834-35)
Au cours de cette période de l’âge d’or une inflexion particulière est donnée à la peinture de paysages. Deux jeunes artistes représentent ce nouveau courant, Johan Thomas Lundbye (1818-1848) et Peter Christian Skovgaard.(1817-1875) Ils sont liés d’amitié et adhèrent à cette recherche du romantisme national. Ils étudient la géologie de leur pays, la botanique de ses plantes et fleurs. Sac au dos, ils parcourent des régions jusqu’alors négligées par les peintres. Skovgaard peint « Un champ d’avoine à Vejby »(1843), des hêtres, des saules, une route de campagne, une lumineuse clairière. Lundbye dessine un œillet des prés, il peint un groupe d’arbres battus par les vents, des nuages. Une toile comme « Paysage du Sjoelland. Campagne dégagée au nord de l’île » (1842), avec, en premier plan, une pierre volcanique entourée de fleurs, exalte l’harmonie du paysage de « son cher et bien aimé Danemark ».
Peter Christian Skovgaard : « Route de campagne dans le Sjoelland » (1864)
Dankvart Dreyer (1816-1852) et Vilhem Kyhn (1819-1903), s’inscrivent dans cette recherche et représentent la péninsule du Jutland dans son aspect de landes désertiques et de côtes sauvages. Dès 1855, Frederik Vermehren (1823-1910) campe « un berger jutlandais sur la lande » . Mais la nostalgie fera bientôt place à la modernité. C’est la fin de l’âge d’or.
Après cette incursion dans un art trop peu connu, parce que trop peu montré, nous ne pouvons que souhaiter pouvoir approfondir nos découvertes par des expositions, pourquoi pas, monographiques, comme le furent celles des peintres suédois Larsson et Zorn, dans un Petit Palais dont la direction témoigne d’une curiosité toujours en éveil.
Annie Birga