André Chénier (1762-1794)
Poésies antiques, « Néère » (extrait)
Oh ! soit que l’astre pur des deux frères d’Hélène
Calme sous ton vaisseau la vague ionienne ;
Soit qu’aux bords de Paestum, sous ta soigneuse main,
Les roses deux fois l’an couronnent ton jardin ;
Au coucher du soleil, si ton âme attendrie
Tombe en une muette et molle rêverie,
Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi.
Je viendrai, Clinias ; je volerai vers toi.
Mon âme vagabonde à travers le feuillage
Frémira: sur les vents ou sur quelque nuage
Tu la verras descendre, ou du sein de la mer,
S’élevant comme un songe, étinceler dans l’air…
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Harmonies poétiques et religieuses, « Le premier regret » (extrait)
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus aux pieds de l’oranger,
Il est, près du sentier, sous la haie odorante,
Une pierre petite, étroite, indifférente
Aux pas distraits de l’étranger !
La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes.
Un nom que nul écho n’a jamais répété !
Quelquefois seulement le passant arrêté,
Lisant l’âge et la date en écartant les herbes,
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir,
Dit : Elle avait seize ans! C’est bien tôt pour mourir !
Méditations poétiques, « Le golfe de Baya, près de Naples » (extrait)
Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour ;
Properce y visitait Cinthie,
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l’amour.
Plus loin, voici l’asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l’univers, sans refuge et sans port,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir ;
La gloire l’appelait, il arrive, il succombe :
La palme qui l’attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n’ombrage que sa tombe.
Nouvelles méditations poétiques, « Tristesse » (extrait)
Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage
Où Naples réfléchit dans une mer d’azur
Ses palais, ses coteaux, ses astres sans nuage,
Où l’oranger fleurit sous un ciel toujours pur.
Que tardez-vous? Partons! Je veux revoir encore
Le Vésuve enflammé sortant du sein des eaux;
Je veux de ses hauteurs voir se lever l’aurore;
Je veux, guidant les pas de celle que j’adore,
Redescendre, en rêvant, de ces riants coteaux;
Suis-moi dans les détours de ce golfe tranquille;
Retournons sur ces bords à nos pas si connus,
Aux jardins de Cinthie, au tombeau de Virgile,
Près des débris épars du temple de Vénus :
Là, sous les orangers, sous la vigne fleurie,
Dont le pampre flexible au myrte se marie,
Et tresse sur ta tête une voûte de fleurs,
Au doux bruit de la vague ou du vent qui murmure,
Seuls avec notre amour, seuls avec la nature,
La vie et la lumière auront plus de douceurs.
Victor Hugo (1802-1885)
Les Chants du crépuscule, « Dicté après Juillet 1830 », partie VII (extrait)
…
Quand longtemps a grondé la bouche du Vésuve,
Quand sa lave écumant comme un vin dans la cuve,
Apparaît toute rouge au bord,
Naples s’émeut ; pleurante, effarée et lascive,
Elle accourt, elle étreint la terre convulsive ;
Elle demande grâce au volcan courroucé;
Point de grâce ! Un long jet de cendre et de fumée
Grandit incessamment sur la cime enflammée,
Comme un cou de vautour hors de l’aire dressé.
Soudain un éclair luit ! Hors du cratère immense
La sombre éruption bondit comme en démence.
Adieu, le fronton grec et le temple toscan !
La flamme des vaisseaux empourpre la voilure.
La lave se répand comme une chevelure
Sur les épaules du volcan.
Elle vient, elle vient, cette lave profonde
Qui féconde les champs et fait des ports dans l’onde.
Plage, mers, archipels, tout tressaille à la fois.
Ses flots roulent vermeils, fumants, inexorables,
Et Naple et ses palais tremblent plus misérables
Qu’au souffle de l’orage une feuille des bois !
Chaos prodigieux ! La cendre emplit les rues,
La terre revomit des maisons disparues,
Chaque toit éperdu se heurte au toit voisin,
La mer bout dans le golfe et la plaine s’embrase,
Et les clochers géants, chancelant sur leur base,
Sonnent d’eux-mêmes le tocsin !
Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869)
Poésies complètes (1840), « Sonnet » (extrait)
J’ai vu le Pausilype et sa pente divine ;
Sorrente m’a rendu mon doux rêve infini ;
Salerne, sur son golfe et de son flot uni,
M’a promené dès l’aube à sa belle marine.
J’ai rasé ces rochers que la grâce domine,
Et la rame est tombée aux blancheurs d’Atrani :
C’est assez pour sentir ce rivage béni ;
Ce que je n’en ai vu, par là je le devine.
Gérard de Nerval (1808-1855)
Les Chimères, « El Desdichado »
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phoebus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Les Chimères, « Myrtho »
Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
À ton front inondé des clartés de l’Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l’or de ta tresse.
C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse,
Et dans l’éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d’ lacchus on me voyait priant,
Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce.
Je sais pourquoi là-bas le volcan s’est rouvert…
C’est qu’hier tu l’avais touché d’un pied agile,
Et de cendres soudain l’horizon s’est couvert.
Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia s’unit au myrte vert !
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésies nouvelles, « A mon frère, revenant d’Italie » (extrait)
Ainsi, mon cher, tu t’en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d’un rêve,
De ces beaux lieux où l’oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d’Eve.
…Tu t’es bercé sur ce flot pur
Où Naple enchâsse dans l’azur
Sa mosaïque,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés les macaroni
Et la musique.
Qu’il soit rusé, simple ou moqueur,
N’est-ce pas qu’il nous laisse au coeur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange?
Léon-Pamphile Le May (1837-1918)
poète canadien
Les Gouttelettes, « Pompéi »
Par des chemins de fleurs, au temple qu’on voit là,
Des prêtresses s’en vont. Leurs bandes triomphales
Dansent cyniquement au rythme des crotales.
Jamais tissu discret alors ne les voila.
Vénus veut des honneurs. C’est sa fête et voilà
Que la ville s’éveille. Et les chastes vestales
S’enfoncent tour à tour dans l’ombre de leurs stalles,
Et le dieu de l’amour sourit dans sa cella.
Mais quel éclat nouveau, quel merveilleux effluve,
Environnent ton front, malheureuse cité ?
Le ciel met-il un nimbe à ta lubricité ?
Sur la ville en amour, l’implacable Vésuve
Étendait, lourdement, ce grand linceul de feu
Que vingt siècles d’efforts n’ont soulevé qu’un peu !
Tristan Corbière (1845-1875)
Les Amours jaunes, « Vésuves et Cie »
Pompeïa-station – Vésuve, est-ce encor toi ?
Toi qui fis mon bonheur, tout petit, en Bretagne,
– Au bon temps où la foi transportait la montagne –
Sur un bel abat-jour, chez une tante à moi :
Tu te détachais noir, sur un fond transparent,
Et la lampe grillait les feux de ton cratère.
C’était le confesseur, dit-on, de ma grand’mère
Qui t’avait rapporté de Rome tout flambant…
Plus grand, je te revis à l’Opéra-Comique.
– Rôle jadis créé par toi : Le Dernier Jour
De Pompéï. – Ton feu s’en allait en musique,
On te soufflait ton rôle, et… tu ne fis qu’un four.
– Nous nous sommes revus : devant-de-cheminée,
A Marseille, en congé, sans musique, et sans feu :
Bleu sur fond rose, avec ta Méditerranée
Te renvoyant pendu, rose sur un champ bleu.
– Souvent tu vins à moi la première, ô Montagne !
Je te rends ta visite, exprès, à la campagne.
Le Vrai Vésuve est toi, puisqu’on m’a fait* cent francs !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais les autres petits étaient plus ressemblants.
Pompeï, aprile.
*Note de Libres Feuillets: on m’a fait = on m’a soustrait ?
Max Elskamp (1862-1931)
La chanson de la rue Saint-Paul, « Puis rue qui s’en va… » (extrait)
On voit le Vésuve
En feu qui se pâme,
Ainsi qu’une cuve
D’enfer et de flammes,
Dominique Thiébaut Lemaire
Aérogrammes (2010), XLII
Dans son buccin tocsin dans son bugle qui beugle
Un guetteur de volcan souffle à ce point qu’il bigle
Et l’augure s’effraie du vol confus des aigles
Elle de raisin noir se colore les ongles
Elle danse pieds nus sur les grappes des cuves
L’enchanteresse au bas du cratère qui couve
Une cendre en fusion de celles qu’on esquive
Croit-elle à tort confiante en l’abri d’une cave
Reviendra-t-elle un jour beauté digne d’un socle
Artémis ou Myrtho Daphné dont les yeux bouclent
A double tour le cœur d’un créateur d’oracles
Il lui a consacré quelques vers d’un grand cycle
Où le Vésuve embrase une passion miracle
Où le chant de l’amour s’élève à travers siècles
Note de Libres Feuillets :
En ce qui concerne les extraits de textes ci-dessus, on peut retrouver les poèmes entiers :
– sur le site web intitulé « Les grands poèmes classiques » (poesie.webnet.fr);
– dans les oeuvres poétiques I de V. Hugo, « bibliothèque de la Pléiade », p.823-824;
– dans les Œuvres complètes de Sainte-Beuve sur internet (Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 1840, p.390-391).
En italien, on peut mentionner notamment, au sujet du Vésuve, « La Ginestra o Il fiore del deserto » (Le genêt ou la fleur du désert), de Giacomo Leopardi (1798-1837), dans les Canti (Chant XXXIV)