Triopas était roi célèbre en Thessalie
Mais son nom et sa ville ont sombré dans l’oubli
Son fils Erysichton « celui qui fend la terre »
En somme un laboureur offensant Déméter
A décidé un jour une hache à la main
Sans autre réflexion ni plus ample examen
De couper un grand chêne orné de bandelettes
Avec une guirlande et des vœux sur tablettes
Qui pourtant témoignait par ses branches parées
Qu’il fallait respecter ce rouvre consacré
A celle que dans Rome on appelait Cérès
Déesse des moissons porteuse de richesses
Ce chêne dépassait ses voisins du bosquet
Qui comparés à lui paraissaient freluquets
Un premier bûcheron lui fait une blessure
Il voit du sang couler par cette meurtrissure
Et retient sa cognée qui s’attaquait au tronc
Erysichton furieux le traite de poltron
Se saisit de ce fer tuant et l’homme et l’arbre
Impie sans repentir il demeure de marbre
Alors Cérès le livre aux tourments de la Faim
Si forts qu’il a besoin de se nourrir sans fin
Sans pouvoir rassasier le vide en ses entrailles
impuissant à calmer le feu qui le tenaille
Lorsqu’il a consommé ses biens en aliments
Mais sans en obtenir aucun rassasiement
Il imagine aussi de monnayer sa fille
Qui se métamorphose ou bien se remaquille
Si bien qu’il va la vendre un grand nombre de fois
Mais ce n’est pas assez pour l’avide aux abois
Il s’engloutit lui-même il se donne en pâture
En devenant ainsi sa propre nourriture
Sa fille multiplie les apparences lui
Se mange par morceaux s’absorbe et se détruit
Erysichton, fils de Triopas et père de la protéiforme Mnestra, est un contempteur des dieux, comme Lycaon, Pirithoüs, Ixion… Il décide un jour de couper un bois consacré à Déméter-Cérès, fille de Cronos et de Rhéa, dont les frères et sœurs sont Hestia, Héra, Hadès, Poséidon et Zeus. Pour châtier Erysichton qui a abattu un immense chêne sacré au tronc séculaire, Déméter, déesse de la terre productrice, principalement divinité du blé, lui envoie une faim dévorante à la demande des dryades, nymphes protectrices des chênaies et des glandées. La Faim toujours à jeun entre sans tarder dans la chambre du coupable, plongé dans un profond sommeil. Elle remplit de son souffle le gosier, la poitrine et la bouche du dormeur, et répand dans ses veines le besoin permanent de nourriture. Le malheureux, dans son rêve, « cherche des aliments, il agite en vain ses mâchoires, fatigue ses dents sur ses dents […] La bouche de l’impie Erysichton avale et réclame en même temps tous les mets ; toute nourriture l’excite à en vouloir davantage ; il fait sans cesse le vide en lui à force de manger. Déjà, pour satisfaire sa faim et pour remplir jusqu’au fond le gouffre de son ventre, il avait diminué son patrimoine ; mais il n’avait pas diminué sa faim cruelle ; la flamme de sa gloutonnerie insatiable subsistait aussi ardente. Enfin, quand il eut jeté tout son bien dans ses entrailles, il lui restait une fille, digne d’un autre père […] Voyant que la petite-fille de Triopas avait le don de se métamorphoser, son père la vend plusieurs fois à des maîtres différents ; changée tantôt en cavale, tantôt en oiseau, un jour en bœuf, un autre en cerf, elle leur échappait et fournissait à l’avidité paternelle des aliments acquis par la fraude. Mais quand l’excès de la souffrance, ayant consumé tout ce qui lui servait de matière, donna une pâture nouvelle à son horrible maladie, Erysichton se mit à déchirer lui-même ses propres membres à coups de dents ; l’infortuné nourrit son corps en le diminuant » (Ovide, Les Métamorphoses, VIII, vers 725-884).
Dominique Thiébaut Lemaire