En même temps que moi je sens que prend de l’âge
Mon environnement la ville qui est là
Ne va pas rajeunir n’a pas ce privilège
Mais dure plus longtemps que l’humain feu follet
On retape les murs on ravale on prolonge
On change le vitrage et les tuyaux de plomb
Dans ces rénovations passe blanc comme un linge
Un souvenir d’amis happés par le déclin
Je suis tenté de dire après moi le déluge
En espérant rester au nombre des élus
Qu’une arche va sauver de ce monde insalubre
Un choix plus raisonnable encore qu’il m’afflige
Serait de réparer sitôt qu’elle faiblit
La plomberie du corps qui se déséquilibre
Quand on prend de l’âge, on finit par se rendre compte que tout vieillit en même temps autour de soi, ce dont on n’avait pas pleinement conscience. Les jeunes peuvent vivre temporairement dans l’illusion de rester jeunes, ce qui donne à certains de l’arrogance, mais ceux qu’on appelle aujourd’hui d’un mot anglo-latin les seniors savent dans leur chair que cet espoir est vain (à l’exception d’une minorité d’addicts en tout genre, vieux beaux soi-disant toujours frais, alcoolodépendants, tabacomanes, qui se croient éternels). « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », et « le diable était beau quand il était jeune », disent les proverbes. L’usure affecte les êtres humains mais aussi le monde matériel, la ville, les rues où se creusent des nids-de-poule, les immeubles dont l’apparence retrouve une jeunesse factice lorsqu’on les ravale. Je suis entré dans un immeuble neuf il y a trente-cinq ans, et j’y suis encore, mais de plus en plus il faut faire un effort désormais permanent pour repeindre, réparer, remplacer, rénover les fermetures des portes et les pièces les plus sollicitées des ascenseurs, des extracteurs de ventilation, des tuyauteries de chauffage et d’alimentation en eau, etc. Quant aux êtres humains, il faut aussi les réparer, combattre l’hypertension ou le diabète, remplacer une articulation, poser une prothèse, opérer une cataracte, ponter des veines ou des artères, bref nous devons rapiécer notre premier vêtement et réhabiliter notre premier logement, le corps, avec lequel nous ne faisons qu’un.
Dominique Thiébaut Lemaire