Le vrai visage de Jules César? Découvertes archéologiques dans le Rhône

Exposition au Musée du Louvre : « Arles, les fouilles du Rhône » (9 mars-25 juin 2012)

Depuis plusieurs années, le progrès des techniques de plongée a permis de nombreuses découvertes archéologiques, qu’il s’agisse par exemple des ruines du port d’Alexandrie à l’embouchure du Nil, ou plus modestement des  vestiges de la ville antique d’Arles près de l’embouchure du RhôneArles, d’origine grecque, ancienne dépendance de Marseille, est devenue en 46 av. J.C. une colonie romaine fondée par Jules César sous le nom d’Arelate, qui signifie en gaulois « près des marais » (voir le Dictionnaire de la langue gauloise, de Xavier Delamarre, éditions Errance, 2003), nom dont le préfixe « are » -l’équivalent de « para » en grec- est présent dans le nom de l’Armorique signifiant « près de la mer ».

Le site d’Arles

Arles était dans l’antiquité un port important situé à la jonction de plusieurs routes : les voies romaines reliant la Provence à l’Italie et à l’Espagne (via aurelia et via domitia), la navigation fluviale sur le Rhône, et la navigation maritime en Méditerranée. Par ce centre de commerce passaient les vins italiens destinés à l’exportation, les produits espagnols et les métaux de l’Occident (cuivre, plomb, étain, fer…) acheminés vers l’Italie. Les ruptures de charge dues à la barre du fleuve, et à l’obstacle du pont de bateaux permanent servant au passage d’une rive à l’autre, nécessitaient des manipulations assurées par les corporations des emballeurs (navicularii) et des transbordeurs (renunclarii) qui s’ajoutaient  à la corporation des bateliers.

La quantité d’objets retrouvés récemment dans le Rhône peut s’expliquer par les crues de ce fleuve capricieux et violent, qui ont entraîné sous les eaux nombre de vestiges (provenant de nécropoles et d’édifices riverains), ainsi que par les naufrages de navires chargés de divers produits, et aussi par l’utilisation du fleuve comme dépotoir. De plus, il semble qu’à Arles comme à Rome, on ait cherché à stabiliser et surélever les berges avec des entassements d’amphores qui se trouvent aujourd’hui submergés.

Depuis 2004 ont lieu des campagnes annuelles de fouilles sous la direction de Luc Long (directeur du DRASSM, Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines), dans un milieu difficile parcouru par des courants forts et remué par le passage des navires, un milieu où la visibilité est très réduite sur un fond de vase avec des amoncellements de déchets modernes et antiques, dans une section fluviale profonde de 15 à 20 m par endroits.

Quelques-uns des objets trouvés dans le Rhône

L’exposition du Louvre, reprenant celle qui a eu lieu à Arles en 2009, présente des pièces provenant du lit du Rhône ainsi que d’autres trouvées en mer. Parmi celles qui ont été repêchées à Arles, on peut mentionner :

–          un lustre circulaire de la fin du 1er siècle apr. J.-C. découvert en 2009, en terre cuite, de 35 cm de diamètre, d’une capacité de presque un litre d’huile pour alimenter les vingt becs qui le composent ;
–          une amphore ibérique de 67,6 cm de haut, découverte en 2001, dont les inscriptions exceptionnellement conservées précisent, comme le feraient des étiquettes modernes, la capacité (l’équivalent de 62 litres); le nom du commerçant; le contenu : un produit dénommé « laccatum » (une sauce de poisson ?), qualifié de « vieux » (quatre ans d’âge) et « excellent » ;
–          une amphore en bronze de la première moitié du 1er siècle apr. J.-C. découverte en 2005, de 44,5 cm de haut, pourvue d’une anse décorée de monstres marins;
–          une cruche en bronze du 1er siècle apr. J.-C., découverte en 2003, d’une hauteur de 18 cm, dont l’anse est décorée d’une tête de ménade, et qui a sans doute été importée de la région de Naples ;
–          un masque cornier d’un couvercle de sarcophage en marbre importé de Rome, découvert en 2007, de 44 cm de haut, qui pourrait représenter Bacchus couronné de vigne ;
–          un Neptune de 1,57 m en marbre du mont Pentélique près d’Athènes, découvert en 2007, importé de Grèce et datant peut-être de la fin du deuxième siècle apr. J.-C.; une dédicace en latin est gravée sur la base de la statue : « Aux divinités des trois Augustes, en l’honneur de la corporation des bateliers. Publius Petronius Asclepiades en a fait don » ;
–          un fragment d’une grande statue d’Artémis, découvert en 2007, en marbre de Thasos (Grèce), datant du 2ème siècle apr. J.-C.; ce fragment, décor de coiffure en forme de temple détaché d’une statue d’environ 2,2 m, atteste l’existence à Arles du culte de l’Artémis d’Ephèse importé par les Grecs venus d’Asie Mineure ;
–          une Victoire ayant perdu ses bras et ses ailes, en bronze revêtu d’une dorure épaisse particulièrement bien conservée, découverte en 2007, de l’époque d’Auguste, haute de 76 cm, un relief probablement utilisé comme parement d’un édifice public ; son séjour de très longue durée en eau douce, où l’absence d’air limite la corrosion, a favorisé un état de conservation sans doute proche de l’état au moment de l’immersion ;
–          une statuette de Gaulois captif, découverte en 2007, haute de 63,5 cm, datant de la fin du 1er siècle apr. J.-C., bronze d’une très belle qualité, créé par la technique de fonte à la cire perdue;
–          Une tête d’homme en marbre de Phrygie, de 39,5 cm de haut, datée (d’après quels critères ?) de 50-40 av. J.-C. (voir ci-dessous).

La question du vrai visage de Jules César

Pour se faire une idée du vrai visage de César, il faut d’abord avoir recours aux monnaies émises à son effigie: voir un exemple ci-dessous. Le fascicule de présentation de l’exposition reproduit un denier en argent du même type daté de janvier ou février 44 av. J.C. juste avant sa mort (denier de César RSC 34, BNF, Cabinet des Médailles et Antiques, inv FG 2850). On voit, mais seulement de profil, sur cette pièce de moins de 2 cm de diamètre, le visage d’un homme couronné, au cou ridé, au menton petit mais prononcé, au nez droit assez grand, à la joue creuse soulignée par le sillon « naso-labial » (ce dernier trait semble d’ailleurs contredire la description de Suétone, qui suit).

Denier au portrait de Jules C�sar
Denier de César, 44 av.J.-C.: Crawford 480/3;CRI 100

Parmi les découvertes faites récemment dans le Rhône, celle qui intrigue le plus est cette tête que les découvreurs sont tentés de considérer comme une représentation de Jules César:


Musée d’Arles. Image de lewebpedagogique.com

Ce serait une découverte sensationnelle, car, jusqu’ici, personne n’a trouvé ni statue, ni buste, ni tête qui, grâce à une inscription ou indice quelconque, puissent être attribués avec certitude au conquérant des Gaules.

Cette question fait l’objet d’une analyse très intéressante de Daniel Roger, conservateur du patrimoine, dans le fascicule de présentation de l’exposition publié par Louvre éditions et Actes Sud (sous la direction de Jean-Luc Martinez, textes de Jean-Luc Martinez, Pascale Picard, Daniel Roger, Claude Sintes).

D’après Suétone (Vie de César, XLV), César « avait, dit-on, une haute stature, le teint blanc, les membres bien faits, le visage un peu trop plein, les yeux noirs et vifs… Il souffrait impatiemment le désagrément d’être chauve, qui l’exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis. Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux ; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier ».

De son côté, Plutarque (Vie de César, IV, 9) attribue à Cicéron les mots suivants au sujet de César: « quand je vois sa chevelure disposée avec tant de soin, quand je le vois se gratter le crâne avec un seul doigt, je n’arrive plus à croire qu’un tel homme puisse avoir décidé un crime aussi grand que la ruine de la République romaine ».

Par rapport à ces témoignages de la numismatique et de la littérature, que peut-on dire du buste retrouvé dans le Rhône ?

On y reconnaît les rides du cou, le sillon naso-labial, et la calvitie -encore qu’elle ne soit pas très prononcée. Mais la forme de cette tête paraît plus ronde, et le nez (certes partiellement cassé) est moins grand. En outre, quand on pense que, selon Plutarque, César tenait particulièrement à sa couronne de laurier, qui figure sur son seul portrait sûr, celui de la pièce de monnaie de janvier 44 av. J.-C, on se demande s’il est possible que le « dictateur » ait été représenté sans cette couronne.

Prudemment, le conservateur Daniel Roger « laisse ouverte la possibilité d’avoir, en Arles, le « vrai » visage du vainqueur des Gaules ». Bref, nous n’avons aucune certitude qu’il s’agisse de César. C’est peut-être pourquoi le nom de celui-ci, mentionné dans le titre de l’exposition d’Arles en 2009, n’a pas été repris dans le titre de l’exposition parisienne de 2012.

La rédaction de Libres Feuillets

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