AU-DELA DES ETOILES : Le paysage mystique de Monet à Kandinsky, Musée d’Orsay 14 mars-25 juin 2017.
Cette exposition a une histoire longue et complexe. Katharina Lochnan, conservateur à l’Art Gallery of Ontario (AGO) de Toronto, a souhaité creuser le sujet du paysage mystique dans la peinture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Elle s’est entourée, pour nourrir sa recherche, de théosophes et métaphysiciens et aussi d’historiens de l’art. Le projet s’est amplifié avec l’apport européen du mouvement du Symbolisme dont le Musée d’Orsay conserve la majorité des protagonistes. Et voici que cette exposition nous arrive du musée canadien. On pouvait tout craindre : un monstre à deux têtes, un ésotérisme qui étouffe le plaisir de la peinture. Or il n’en est rien : les peintres canadiens sont pour nous une vraie découverte, la qualité des tableaux exposés est indéniable, le thème du mysticisme conduit le visiteur à des interrogations et des contemplations.
Ayant franchi une porte imitée de celle d’un temple japonais, le visiteur se retrouve plongé dans les séries de Monet. Meules, peupliers, cathédrales, nymphéas, toiles où la lumière se joue sur des couleurs et des surfaces jusqu’à leur donner un aspect quasi magique. Un Van Gogh « Les Oliviers » évoque le paysage convulsé des Alpilles, et c’est le miroir de l’esprit tourmenté du peintre. Dans cette même section un Mondrian, un Kandinsky (de la dernière période) nous interrogent : l’élan mystique conduit-il à l’abstraction ? Si démonstration il y a, elle n’est pas convaincante. Et dans le délicieux tableau de Klimt « Rosiers sous les arbres », peint comme un patchwork, les rosiers demeurent bien des rosiers et les arbres, des arbres dans une verte prairie.
Les peintres de Pont-Aven et les Nabis revendiquent le spirituel dans l’art. L’exposition leur fait une place de choix, de Sérusier à Emile Bernard. Leur approche de la peinture n’est plus naturaliste, que ce soit dans l’usage de la couleur ou dans le traitement de l’espace, ce qui induit un univers surréel. Le thème du Bois, magique, d’amour, sacré, y est comme un fil conducteur. De Maurice Denis, le « Paysage aux arbres verts » (1893) est sublime avec sa délicatesse et son élan spirituel. Le poème« Correspondances » de Baudelaire est rappelé, en harmonie avec ces toiles. Des précurseurs du Symbolisme, Van Gogh et Gauguin, sont montrés deux tableaux, peints à la même date de 1888. « Le Semeur », au personnage de paysan, souvenir de Millet, mais auréolé d’un énorme soleil jaune, et «Vision après le sermon, ou la lutte de Jacob avec l’ange», d’une extraordinaire audace de composition. Les deux peintres ont bien vu Hokusai.
Dans toute l’Europe, en cette fin de siècle, on assiste à l’éclosion d’un art spiritualiste, de Munch dont est exposée la toile « La danse sur le rivage »(1899-1900), à Segantini, remarquable artiste italien qui pratique une peinture divisionniste ; « L’amour aux sources de la vie » (1891) introduit, comme chez Denis et Gauguin, un ange dans le tableau symboliste. Deux images du Christ et deux paysages, chacun en écho à la personne divine. Chez Denis, le Christ est en prière, perdu dans une nature maritime, dure, mer houleuse et rocher granitique, le titre du tableau est « La Solitude du Christ », tandis que chez Gauguin dans « Le Christ au jardin des Oliviers », l’autoportrait en Christ accablé de tristesse fait passer au second plan le paysage vert et mystérieusement touffu.
Au centre de l’exposition sont groupés les peintres canadiens dans un ensemble de tableaux forts, colorés et expressifs. Leurs racines ou leur cousinage sont à rechercher du côté des peintres scandinaves, Munch bien sûr, mais aussi Strindberg avec ses recherches de matière (« Les Vagues » 1901-1902), et le suédois Willumsen qui décompose en formes heurtées la montagne du « Jotunheim » (1892). Ces jeunes gens veulent inventer une peinture qui soit à l’image de la nature canadienne de lacs, de montagnes, vierge de la présence humaine. Pour certains, il s’agit d’une quête métaphysique. La stylisation peut aboutir à une épuration de la forme : ainsi dans la toile de l’un des peintres du Groupe des Sept, Lawren S. Harris, « Isolation Peak » (1930). L’artiste la plus représentée est Emily Carr, originaire de Colombie britannique qui a peint la nature amérindienne. Tom Thomson fait partie des peintres les plus connus ; il est capable dans un format minuscule de suggérer une aurore boréale ou de rendre la sensation du « Vent d’Ouest » par l’image d’un lac et d’un grand ciel gris en mouvement. Après cette première approche il nous faudrait revoir toute cette belle floraison canadienne dans des expositions monographiques.
Suit une section consacrée à l’évocation de la nuit et de ses approches, aube ou crépuscule. Le ciel, les étoiles, la lumière et ses variations nous transportent dans un monde comme surréel, que ce soit dans la nature ou le paysage urbain. En 1888 Van Gogh écrivait à Théo : « J’ai un besoin terrible – dirai-je le mot – de religion, alors je vais dehors la nuit pour peindre les étoiles. » Ici on revoit la magnifique « Nuit étoilée » (1888). De Whistler, à la recherche d’harmonies, un subtil « Nocturne en bleu et argent.» Eugène Jansson, lui, contemple depuis son atelier de Stockholm les étendues d’eau et de ciel et sa ville qui est composée d’îles et il en rend tout l’aspect onirique. Rêves aussi dans ces visions crépusculaires de villes fantomatiques comme Bruges et Venise, que rend bien Le Sidaner. Voici un peintre du silence, on le redécouvre dans cette exposition qui a, entre autres, le mérite de montrer des peintres proches de la poésie et parfois, à tort, considérés comme mineurs. Qui dira le charme de cette évocation du petit matin dans la toile d’Angelo Morbelli « La première messe à Burano » ?
Une petite salle rassemble une suite de paysages, derniers tableaux de Charles-Marie Dulac, peintre mort à 32 ans en 1898 et devenu, avant sa disparition, tertiaire franciscain. Ce sont des vues d’Assise, variations sur les jeux du soleil et vision contemplative des monts de l’Ombrie. Peinture célébrée par Huysmans et Maurice Denis, et tirée de l’oubli dans cette exposition.
Avançant dans le temps (bien que la chronologie soit parfois mise de côté au profit de la thématique), les paysages deviennent « dévastés ». Comme leurs contemporains, Otto Dix et Vallotton, les peintres canadiens évoquent les terres bouleversées, les arbres calcinés, l’air chargé de fumées, le ciel zébré de tirs d’armes. Les commentateurs ésotériques évoquent l’Apocalypse ou bien la nuit de l’âme.
L’exposition, qui reflète cette orientation, se clôt sur l’évocation des planètes, du soleil, des étoiles, des visions cosmiques. On voit le superbe tableau de Munch « le Soleil », une fête de couleurs, deux tableaux mystérieux de l’allemand Wenzel Hablik, représentant l’un, un ciel d’astres scintillants, et l’autre « Le Château de cristal en mer » (image de l’univers ?). Les paysages de Georgia O’ Keeffe évoquent dans leur quête mystique de vastes horizons aux dégradés de couleurs violentes. La salle est tapissée d’un bleu nuit clair et la musique est de Charles Ives, intitulée « Questions sans réponse ».
Annie Birga