DEBUSSY,LA MUSIQUE ET LES ARTS
Paris, Musée de l’Orangerie, 22 février-11 juin 2012
Pour le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Debussy, l’exposition du Musée de l’Orangerie fait revivre le compositeur du tournant du XIXe au XXe siècle dans un parcours raffiné et foisonnant. Le commissaire en est Guy Cogeval, fidèle à ses amours, puisqu’en 1984, pensionnaire de la Villa Medicis comme Debussy l’avait été, il y présenta « Debussy et le Symbolisme ».
A la question : « Où aimeriez-vous vivre ? », Debussy répondit par le baudelairien « Anywhere out of the world ». Cette dominante onirique, que révèle bien la photographie que fit de lui son meilleur ami Pierre Louÿs, imprègne son œuvre et explique ses goûts littéraires et picturaux. Pourraient en être des illustrations un tableau comme « L’air du Soir » d’Henri-Edmond Cross, jeunes femmes rêvant au bord de la mer sous un soleil pointilliste, ou bien un tableau de Vuillard, « Personnages dans un intérieur.La Musique », où s’entremêlent dans une atmosphère feutrée fleurs, enfants, piano et tapisserie.
Dès son retour de Rome, le jeune Debussy affirme son goût pour les Préraphaélites, quand il choisit de mettre en musique « La Damoiselle élue », d’après un poème, paru en 1850, de leur chef de file Dante Gabriel Rossetti. Le poète-peintre en fit diverses représentations, comme celle exposée qui montre une jeune fille, très belle, étoiles dans les cheveux et lys à la main, regardant mélancoliquement du haut des cieux son amant-chevalier demeuré sur terre. Le musicien écrit à son ami Ernest Chausson qu’il utilise pour cette cantate « des lignes mélodiques doucement effacées ». Pour la couverture de la précieuse édition de la Librairie de l’Art indépendant, c’est le peintre nabi Maurice Denis qui exécute une lithographie. Denis qui aurait pu reprendre à son compte l’assertion de Debussy : « Je veux chanter mon paysage intérieur avec la candeur de l’enfant », est représenté dans l’exposition par de nombreux chefs-d’oeuvre, en syntonie avec l’inspiration debussyste. Un même cercle d’intellectuels et d’artistes amis leur fait commande et les encourage, le musicien Chausson, le conseiller d’Etat Fontaine, le peintre Henry Lerolle, tous présentés dans l’exposition, en particulier Lerolle par de délicats tableaux intimistes… C’est chez lui que Debussy rencontre Degas à qui il vouera une grande admiration. Degas lui fait connaître Camille Claudel dont il apprécie les sculptures qu’il collectionne (il conservera « La Valse » sa vie durant).
Une salle de l’exposition tente de restituer l’atmosphère raffinée que le musicien esthète s’est constituée dans son intérieur, table dessinée par Lerolle, lampe Art Nouveau, grès de Carriès, objets précieux d’Extrême-Orient, dont on retrouve des échos dans son oeuvre pianistique (on pense à « Poissons d’Or », inspirés d’une laque du même nom ou à la Vague d’Hokusai, bois gravé en couverture de la partition de « La Mer »). Curieux aussi d’antiquités égyptiennes et grecques – en témoignent des pièces comme « Canopes » et « Danseuses de Delphes » – Debussy n’hésite pas à cautionner la supercherie de Pierre Louÿs et met en musique les « Chansons de Bilitis » d’une pseudo-poétesse dont on expose ici le visage (Musée du Louvre, Ve siècle avant J.-C.). Dans la même veine néo-païenne s’inscrit, d’après le poème de Mallarmé, le « Prélude à l’après-midi d’un faune ». Debussy fréquentait les fameux « Mardis » de Mallarmé et on connaît l’admiration du poète pour la musique qu’il appelle « la poésie sans les mots » ou encore « le Plaisir Sacré ». Les photographies d’Adolf de Meyer permettent d’imaginer le ballet de Nijinski, tout comme le vase grec dont le danseur s’inspira pour sa gestique.
Le catalogue propose une réflexion sur les diverses mises en scène du chef-d’oeuvre «Pelléas et Mélisande ». Cet opéra, qui reprend la pièce de Maeterlinck, connut tout de suite la célébrité et inspira les peintres et dessinateurs, en particulier le personnage de la femme-enfant, candide et porteuse de mort. A côté des images rêveuses de Maurice Denis ou hiératiques de Carlos Schwabe sont montrées des lithographies de Munch, « Jalousie », « Séparation », qui correspondent à la part d’ombre de l’imaginaire debussyste.
Malgré les costumes et décors de Baskt, grand scénographe, le « mystère » intitulé « Le martyre de Saint-Sébastien », poursuivi par la censure, connaît l’insuccès. Dans l’exposition, un manuscrit autographe de Gabriele d’Annunzio, décadent trop peu connu en France et tout de suite remarqué par Debussy. Plus tard, Diaghilev commande un ballet pour Nijinski: c’est « Jeux », et Baskt en fait à nouveau le décor. Il sera repris, après la mort de Debussy, par les Ballets suédois, avec un décor de Bonnard (pastel exposé). Cette magnifique floraison de créateurs avec leurs liens et leurs correspondances est ensuite précisée. Qu’on en juge : Mallarmé portraituré par Whistler (lithographie) puis par Manet dans un tableau célèbre. Degas, « Portrait d’Edouard Manet debout ». Eugène Carrière , « Portrait d’Henry Lerolle », « Portrait de Paul Verlaine », poète aimé et mis en musique par Debussy. Lithographie d’Odilon Redon, portrait d’un pianiste proche de Debussy, Ricardo Vines. De Vallotton : « A Edgar Poe », goût commun avec Debussy qui rêva de mettre en musique deux « Histoires Extraordinaires », sans réussir à les achever.
La dernière salle de l’exposition évoque la nature comme source d’inspiration : Nocturnes, Marines, Paysages. Debussy a écrit : « Moi qui aime les images presque autant que la musique. » On sait qu’il conservait dans son salon une reproduction de Whistler aux raffinements à peine colorés (selon le mot de Proust), proches de sa musique. Parmi ses peintres préférés, Turner « le plus beau créateur de mystère qui soit en art ». Des marines agitées, une « Nuit d’été » magique de Winslow Homer, une « Tempête, côtes de Belle-Ile » de Monet. Chez Debussy l’eau et la lumière changent constamment avec fluidité. D’où des correspondances avec des aspects variés de la nature. A côté d’un « Gouffre » vertigineux de Gauguin, les « Nymphéas » de Monet, magnifique surface picturale.
Nous avançons ainsi dans le XXe siècle et il ne faut pas oublier que Debussy est l’un des rénovateurs de la musique française. La nouveauté des sonorités, la liberté de ses compositions autorisent le rapprochement avec les recherches formelles de Delaunay, du musicien et spiritualiste Kandinsky, de Kupka.
Un cycle de Concerts Debussy a lieu au Musée d’Orsay et prolonge le plaisir et l’approfondissement de cette oeuvre magique et symbolique.
Annie Birga