Hubert Robert, un peintre visionnaire. Par Maryvonne Lemaire

Hubert Robert (1733-1808), un peintre visionnaire, exposition au Musée du Louvre. Du 8 mars au 30 mai 2016.

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Pour la première fois depuis 1933, en association avec la National Gallery of Art de Washington, le musée du Louvre consacre une exposition aux œuvres de celui qui en fut le premier Conservateur, de 1795 à 1802, après avoir été  Garde des tableaux du roi  avant la Révolution. Un peintre du siècle des Lumières, bien de son temps, qui a dépeint le passage du temps.

Dès l’entrée, le portrait d’Hubert Robert, œuvre de son amie Elisabeth Louise Vigée Le Brun, nous fait face. Ce tableau accroche le regard par l’attitude de l’artiste, accoudé, palette en main, à quelque balustrade antique. Le peintre porte sa tenue de travail, redingote gris-bleu à col rouge longtemps portée, gilet de couleur or, foulard blanc noué avec désinvolture. La tête tournée aux trois-quarts vers la droite, dans un mouvement qui n’est pas sans rappeler les portraits de son ami Fragonard, il n’observe pas, il voit et nous transporte par ce regard dans son univers.

Profusion, élégance, lumière, mouvement… Les premières œuvres peintes pendant le séjour qu’Hubert Robert fit à Rome de 1754 à 1765, d’abord dans la suite de l’ambassadeur du roi auprès du pape puis comme pensionnaire de l’Académie de France, étonnent le visiteur par la richesse du détail, qu’il s’agisse de frondaisons, de lignes et motifs architecturaux, d’œuvres dans l’œuvre, de personnages, gens du peuple et de l’aristocratie. L’élégance provient de la proportion, qui est presque disproportion, entre la haute stature, comme éternelle, des arbres, des monuments et l’animation donnée par de petits personnages saisis sur le vif de leurs activités, lavandières, promeneurs, bergers, découvreurs d’antiques, peintres travaillant sur le motif. Les éléments de sculpture antique retrouvent une nouvelle vie plus prosaïque. La vibration de la lumière que font naître les larges réserves de ciels et les contrejours dorés, est comme naturelle par l’effet de simples touches de blanc dans l’eau des fontaines, dans les dentelles de toilettes féminines ou de jabots,  dans la transparence du linge qui sèche au soleil. Le motif lui-même crée le mouvement, eau jaillissante de la fontaine ou de la cascade,  flammes dévorantes d’un incendie, escalier menant on ne sait où, tandis que le point de vue latéral choisi par le peintre accentue encore l’impression de mobilité.

 Que faut-il préférer ? Les sanguines, prêtées surtout par le musée de Valence, comme Le Dessinateur au musée du Capitole, l’Etude de plantes ou encore le Jeune homme lisant prêté par le musée de Quimper ? Les délicates encres brunes et aquarelles (Vue de la villa Madame, Vomitorium du Colisée) ? Ou bien les huiles sur toile du Jardin d’une villa italienne,  de l’Escalier tournant au palais Farnèse à Caprarola ?

L’œuvre présentée au Salon de 1767, Le Port de Ripetta à Rome, peinte par Hubert Robert en vue de son agrément à l’Académie royale, traduit l’influence de ses deux maîtres italiens, le peintre de monuments Pannini et le graveur Piranesi connu pour ses architectures imaginaires. Robert des ruines (surnom du peintre lorsqu’il revint à Paris) leur est fidèle  par ses topographies imaginaires. Il rassemble en un même lieu des monuments éloignés : dans Le port de Ripetta il réunit le Panthéon et le palais des conservateurs de Michel-Ange. Le peintre leur est fidèle aussi par ses architectures fantastiques, ponts, escaliers ne menant nulle part. Mais rien qui pèse ou qui pose chez Hubert Robert. De grands ciels  ôtent toute impression d’enfermement, sentiment que l’on ressent dans les gravures de Piranèse. Son anticomanie  (1) reste émerveillée et amusée (Les découvreurs d’antiques, la découverte de Laocon). Diderot, qui remarque le jeune peintre, pointe surtout sa douce mélancolie, en accord avec celle de son époque : « Les sublimes ruines. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe ».

Sublimes aussi sont les tableaux de monuments antiques en France : Nîmes, Orange, le Pont du Gard ; sublime la beauté minérale du paysages des Sources de Fontaine de Vaucluse, des Gorges d’Ollioules (1783). Vingt ans plus tôt, Rousseau a exalté la beauté des Alpes dans La Nouvelle Héloïse. Sublimes aussi les tableaux inspirés par des récits historiques, par exemple L’Incendie de Rome (1771). Ce sont des horreurs délectables, selon les termes de l’Ecossais Edmund Burke (2), de l’horreur qu’inspirent le passage du temps et la mort et que conjure la beauté.

Les époques les plus saisissantes de la peinture d’Hubert Robert sont sans doute la période romaine et plus tard la peinture des transformations de Paris dans les années de la Révolution. Pourtant ses initiatives pour ce qu’on pourrait appeler un art total, dans les années  1770 et le début des années 1780, ne laissent pas indifférent. Il pratique les arts décoratifs avant la lettre. Conception et représentation de jardins, mobilier, vaisselle, décors d’hôtels particuliers, tout l’intéresse.

Son souvenir des jardins pittoresques italiens trouve un écho dans l’intérêt qui se manifeste pour l’art des jardins. Claude Henri Watelet publie en 1774 son Essai sur les jardins. Le peintre, nommé en 1784 Dessinateur des jardins du roi, charge occupée au XVIIe siècle Le Nôtre, réaménage les jardins du roi à Versailles. Le Bosquet des bains d’Apollon lors de l’abattage des arbres ou L’entrée du tapis vert lors de l’abattage des arbres (1777) sont des tableaux émouvants qui montrent une nature en ruine, alors que les statues subsistent. Toujours la dialectique entre nature et art. Il crée aussi des jardins  pour des aristocrates. Le Château et le parc de Méréville (1790)  est une huile sur toile représentant le magnifique jardin qu’Hubert Robert avait conçu pour son ami le marquis de Laborde.

 Il imagine aussi des meubles à la manière étrusque, de la vaisselle inspirée par l’antique pour la Laiterie de la reine à Rambouillet (1787), des décors d’hôtels particuliers, souvent disparus. Le décor conçu pour la salle à manger des petits appartements du roi au château de Fontainebleau a survécu :  la lumière du soleil couchant illuminait le Pont du Gard et  la Maison Carrée de Nîmes sur la paroi est de la salle, face au coucher du soleil, tandis que L’Arc de triomphe d’Orange et l’Intérieur du temple de Diane à Nîmes,  peints dans la lumière du matin, étaient sur la paroi opposée.

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Grâce à son expérience de peintre de monuments, Hubert Robert entre de plain pied dans la tourmente des années révolutionnaires : sa peinture lui a donné le sens de la fragilité des choses. Les destructions, les reconstructions, les vandalismes à venir, Robert des ruines les a déjà représentés. Paris change. On détruit les maisons sur le pont Notre-Dame et sur le Pont-au-change car elles empêchent de voir la Seine et coupent les effets salubres du vent, selon Sébastien Mercier (3). On bâtit une nouvelle école de chirurgie. Bientôt l’Histoire s’accélère.

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Et c’est le fameux tableau de La Bastille dans les premiers jours de sa démolition (1789), la Bastille, symbole de l’arbitraire royal. Un autre tableau plus mélancolique sur la destruction d’un château par les Révolutionnaires. Quelques autres sur la prison Saint-Lazare où a été emprisonné le peintre comme « suspect  pour son incivisme reconnu, pour ses liaisons avec les aristocrates ». La passion de la peinture ne quitte pas le prisonnier qui peint des scènes de bonheur sur les assiettes où le geôlier lui apporte son repas.

Les deux dernières œuvres de l’exposition peintes selon deux points de vue latéraux différents sont remplis l’une d’espoir, l’autre de crainte. Emprisonné du 29 octobre 1793 au 4 août 1794, épargné par la guillotine en raison de la mort de Robespierre, Hubert Robert retrouve le logis qu’il occupait au Louvre depuis son retour de Rome. Il retrouve aussi sa fonction d’administrateur du musée sous le nouveau régime, puisqu’il en est nommé Conservateur en 1795. L’interrogation du peintre pris entre espoir et crainte nous touche, nous qui vivons aussi une époque tourmentée. Le Projet pour la transformation de la Grande Galerie (1796), tableau heureux où la galerie est inondée de lumière par l’effet d’un éclairage venant de lanternes au plafond, traduit l’espoir du peintre de faire du musée un espace civilisateur : les artistes y reproduisent les centaines d’œuvres de maîtres du passé, les promeneurs se délectent de la beauté du lieu. Nos pyramides de verre sont venues concrétiser son projet, si ce n’est qu’elles se contentent d’éclairer la foule des visiteurs. C’est plutôt la méditation sur le temps qui donne sa force au tableau représentant Une Vue de la  Grande Galerie en ruine. Dans les ruines envahies par les herbes subsistent une tête de Minerve, l’Apollon du Belvédère, qu’un dessinateur reproduit, comme dans les premières œuvres romaines. Crainte que notre patrimoine ne devienne ruine…

Hubert Robert, un peintre visionnaire ? Puisse la vision heureuse figurée dans le premier de ces deux tableaux être la bonne !

Maryvonne Lemaire

  1. Au début des années 1760 Johann Joachim Winckelmann théorise la notion d’anticomanie.
  2. En 1765 Edmund Burke publie  Recherches philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau.
  3. En 1781 Louis-Sébastien Mercier publie Tableau de Paris.

 

 

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