Je ne puis concevoir sans vallée la montagne
Une topologie qui s’accorde au constat
Que le mont et le val vont de pair s’accompagnent
Et pour leur existence on n’en disconvient pas
Je peux imaginer que des chevaux atteignent
A tire-d’aile un ciel où la raison se tait
Mais ce n’est que chimère irréelle on le sait
C’est ce que le bon sens et l’expérience enseignent
L’idée d’un Dieu parfait suprêmement insigne
Est d’une autre nature et sa suprématie
Aurait sans l’existence un manque et un faux pli
Serait contradictoire et pourtant je rechigne
Et je doute pourtant car mon esprit se cogne
A l’enclos qui le borne à ses murs verticaux
Il chancelle et titube il est comme un ivrogne
Soûlé par l’infini entre tout et zéro
« Il n’y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c’est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l’existence (c’est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n’ait point de vallée.
Mais encore qu’en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu’une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s’ensuit pas qu’il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je concoive Dieu avec l’existence, il semble qu’il ne s’ensuit pas pour cela qu’il y en ait aucun qui existe ; car ma pensée n’impose aucune nécessité aux choses ; et comme il ne tient qu’à moi d’imaginer un cheval ailé, encore qu’il n’y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi je pourrais peut-être attribuer l’existence à Dieu, encore qu’il n’y eût aucun Dieu qui existât… »
Mais « de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s’ensuit que l’existence est inséparable de lui, et partant qu’il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu’elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l’existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n’est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c’est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m’est libre d’imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes » (Descartes, Méditations métaphysiques, méditation cinquième).
Dominique Thiébaut Lemaire