Souvenir indistinct le premier de l’enfance
Je crois me rappeler que presque triomphant
J’étais à trente mois maître dans la charrette
La carriole à deux roues mais qui donc me tirait
Non pas l’éléphanteau aux naissantes défenses
Qui pourraient devenir matière d’olifant
Mais un humain qui donc silhouette pas nette
Emergeant du passé quand celui-ci renaît
Non pas le gros Babar qui hors de la béance
De l’oubli me revient jeune petit géant
Mais un être plus cher qui gratte une allumette
Au plus profond du noir et me manque à jamais
J’avais un sentiment de fière préséance
Et d’être en ce charroi tel un roi fainéant
Parcourant le pavé comme sur des roulettes
Peut-être pas un roi du moins un roitelet
Illusion d’être ainsi content plein d’insouciance
Non je n’aurais pas dû me sentir si confiant
Une vaccination ce n’était plus la fête
M’attendait et j’ai cru que c’était un méfait
Ce lointain souvenir j’en ai repris conscience
Quand à six fois onze ans j’ai supporté patient
Un rappel de vaccin dont ma mémoire inquiète
Exagérait l’effet mais à tort se méfiait
Dans le cahier où elle a noté les faits et gestes et les paroles de ma prime enfance, ma mère a relaté ainsi une histoire de vaccination :
« Vaccination anti-diphtérique et anti-tétanique associée.
Trois piqûres : 5 juin 1950, 19 juin, 2 juillet.
A partir de ces dates mémorables la « mairie » devient le lieu du cauchemar. Il ne faut plus l’approcher de près, Dominique résiste de toutes ses forces et ne veut plus avancer. Affreux souvenir que celui du gros monsieur qui maintient de force les petits enfants sur ses genoux pendant que le docteur fait la piqûre ! »
Il me semble qu’il s’agit là de mon plus ancien souvenir, à l’âge de deux ans et demi. Je ne me rappelle pas les personnages ni le lieu de cette scène, mais seulement le petit trajet en carriole pour m’y rendre.