L’union dit le penseur entre âme et corps est telle
Que si l’enfant a joint dans son premier état
Quelque fait corporel aux frayeurs qu’il sentait
Dès l’âge du berceau ou dès la vie fœtale
Il a créé un lien qui n’est pas volatile
Et va rester en lui hors mémoire et têtu
C’est l’araignée d’antan quand il était petit
Changée en aversion devenue tarentule
C’est l’étourdissement de la senteur des roses
Qui lui sera montée à la tête en intruse
Ou c’est les yeux d’un chat luisant comme des braises
Certains ont prétendu surprenante méprise
Que le grand philosophe aurait fait table rase
Du sensible inconscient mais leur critique est creuse
… Il y a telle liaison entre notre âme et notre corps que, lorsque nous avons une fois joint quelque action corporelle avec quelque pensée, l’une des deux ne se présente point à nous par après que l’autre ne s’y présente aussi…Cela suffit pour rendre raison de ce que tout un chacun peut remarquer de particulier, en soi ou en d’autres, touchant cette matière … Et, pour exemple, il est aisé de penser que les étranges aversions de quelques-uns, qui les empêchent de souffrir l’odeur des roses, ou la présence d’un chat, ou autres choses semblables, ne viennent que de ce qu’au commencement de leur vie ils ont été fort offensés par quelques pareils objets, ou bien qu’ils ont compati au sentiment de leur mère qui en a été offensée étant grosse. Car il est certain qu’il y a du rapport entre tous les mouvements de la mère et ceux de l’enfant qui est en son ventre, en sorte que ce qui est contraire à l’un nuit à l’autre. Et l’odeur des roses peut avoir causé un grand mal de tête à un enfant lorsqu’il était encore au berceau; ou bien un chat le peut avoir fort épouvanté, sans que personne y ait pris garde, ni qu’il en ait eu après aucune mémoire : bien que l’idée de l’aversion qu’il avait alors pour ces roses, ou pour ce chat, demeure imprimée en son cerveau jusqu’à la fin de sa vie (Descartes, Les Passions de l’âme, article 136).
Dominique Thiébaut Lemaire