Notre âme contribue à préserver le corps
Par le ressentiment qu’elle a de la douleur
Ce qui produit d’abord la passion de tristesse
Puis la détestation des causes de souffrance
Et le désir actif d’en être délivré
De même elle ressent ce qui profite au corps
Par un chatouillement qui crée de la chaleur
Faisant monter aux joues la joie ou l’allégresse
Et suscite en nos coeurs l’amour en conséquence
Puis le désir enfin qu’on n’en soit pas sevré
Désir amour et joie bénéficient au corps
Mais souvent la tristesse est première et meilleure
Parfois la haine aussi quoiqu’elle nous abaisse
Quand il importe plus d’éloigner les nuisances
Que d’embrasser le bien qui peut nous enivrer
Quand il importe moins d’élever l’existence
Que d’écarter le mal qui pourrait nous navrer
« Après avoir donné les définitions de l’amour, de la haine, du désir, de la joie, de la tristesse, et traité de tous les mouvements corporels qui les causent ou les accompagnent, nous n’avons plus ici à considérer que leur usage. Touchant quoi il est à remarquer que selon l’institution de la nature elles se rapportent toutes au corps et ne sont données à l’âme qu’en tant qu’elle est jointe avec lui : en sorte que leur usage naturel est est d’inciter l’âme à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir à conserver le corps, ou à le rendre en quelque façon plus parfait. Et en ce sens, la tristesse et la joie sont les deux premières qui sont employées. Car l’âme n’est immédiatement avertie des choses qui nuisent au corps que par le sentiment qu’elle a de la douleur, lequel produit en elle premièrement la passion de la tristesse, puis ensuite la haine de ce qui cause cette douleur, et en troisième lieu le désir de s’en délivrer. Comme aussi l’âme n’est immédiatement avertie des choses utiles au corps que par quelque sorte de chatouillement, qui, excitant en elle de la joie, fait ensuite naître l’amour de ce qu’on croit en être la cause, et enfin le désir d’acquérir ce qui peut faire qu’on continue en cette joie, ou bien qu’on jouisse encore après d’une semblable. Ce qui fait voir qu’elles sont toutes cinq très utiles au regard du corps; et même que la tristesse est en quelque façon première et plus nécessaire que la joie, et la haine que l’amour : à cause qu’il importe davantage de repousser les choses qui nuisent, et peuvent détruire, que d’acquérir celles qui ajoutent quelque perfection sans laquelle on peut subsister » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 137).
Dominique Thiébaut Lemaire