Auguste, empereur de Rome: exposition à Paris au Grand Palais. Par Maryvonne Lemaire

Moi, Auguste, empereur de Rome. Exposition à Paris au Grand Palais
(19 mars-13 juillet 2014)

Cet article continue la série de ceux que Maryvonne Lemaire a déjà consacrés, dans Libres Feuillets, à l’histoire de l’antiquité grecque et romaine (voir les articles sur les Etrusques,  sur la remise des dettes en Grèce au temps de Solon, et sur Alexandre le Grand).

L’instabilité politique actuelle sur fond de guerres civiles, en particulier dans le monde arabe, en Afrique, en Ukraine, donne un relief particulier à l’exposition consacrée à Auguste, empereur romain (63 avant J.-C/ 14 après J.-C). En effet Auguste, alias Octave, élevé par sa grand-mère, la  sœur de Jules César, a vécu son enfance, sa jeunesse et le début de son principat au milieu des guerres civiles. Le titre de l’exposition  ainsi que son affiche, représentant Auguste dit de Prima Porta, pourraient sembler  académiques si  on oubliait qu’Auguste, avec et après son père adoptif César, a opéré un bouleversement dans l’histoire romaine. Il a fait passer la Rome antique de la République, exténuée par ses violentes guerres civiles, à un régime politique nouveau, le Principat ou l’Empire, qui non seulement a restauré l’ordre à Rome mais a permis l’unification du monde romain en instaurant les conditions d’un relatif âge d’or.

L’art augustéen, lui, n’a rien d’un bouleversement. L’impression que donne le cheminement de l’exposition est  celle d’une omniprésence du Princeps. Le classicisme des représentations, faisant retour à  la Grèce ancienne, plus sensible encore quand on pense à la démesure des œuvres hellénistiques de la même époque, la richesse des matériaux, marbre  fin, or, argent, couleurs rares, nous enchantent. Mais une question se pose : au fond, l’art augustéen n’est-il pas largement un art au service du Princeps, un art de propagande ?

Les représentations d’Auguste, très nombreuses, ont  presque toujours une valeur argumentative. Les quatre principaux types mettent chacun l’accent sur un message différent.

Premier message : Octave est le fils et  le vengeur de César. La représentation de Mars Ultor, Mars vengeur, revient à plusieurs reprises pendant le parcours. Octave, dès qu’il eut appris que César, dans son testament, avait fait de lui son fils adoptif et son héritier, poursuivit ses meurtriers Brutus et Cassius, au mépris même des institutions républicaines. Dans la seconde salle, deux séries de trois bustes de marbre réalistes et expressifs, marque de l’art romain, nous montrent les acteurs des deux triumvirats. le premier autour de César : un Pompée  aux traits épais, un Crassus au visage émacié;  le second autour d’Octave, avec  Antoine et Lépide. La beauté d’Octave rayonne dans le groupe, mais surtout il ressemble à son grand-oncle et père adoptif par les joues plates et le menton effilé, selon l’analyse de Daniel Roger, l’un des commissaires de l’exposition. C’est le type dit Béziers-Spolète.

Après Actium (31 avant J.-C.)  et sa victoire sur Antoine,  représentée sur de grandes plaques de marbre, Octave s’adjoint, en plus de l’administration de la province d’Italie,  celle de l’Egypte, attribuées lors du triumvirat à son rival.  Le type La Alcudia domine, c’est celui de l’imposante statue équestre trouvée dans la mer Egée. Octave est un nouvel Alexandre, tel est le deuxième message.  Le soin apporté à la disposition des mèches de cheveux n’est pas sans rappeler le fameux épi dans les cheveux d’Alexandre. De toute évidence, le Macédonien est un modèle pour Auguste. Suétone raconte que, s’étant fait ouvrir le tombeau d’Alexandre qui se trouvait encore à Alexandrie, Auguste répondit aux soldats qui voulaient aussi lui montrer ceux des Ptolémée : « Je suis venu voir un roi et non des morts ».

Après 29 prédomine le type Louvre-Forbes, portraits plus sévères inspirés de la tradition républicaine comme  Auguste en toge avec la tête voilée. Les rides sur le front accentuent la gravité du personnage. C’est le troisième message, celui d’un retour  proclamé aux anciennes vertus républicaines (celles inscrites sur le bouclier de la Virtus dans la deuxième salle : Virtus, Justitia, Clementia, Pietas erga deos : le courage, la justice, la clémence, la piété envers les dieux). César avait voulu prendre le titre d’Imperator et se faire donner la dictature perpétuelle. C’est en raison de cette menace contre la République que Brutus et Cassius l’ont assassiné. Octave venge César sans concession ni faiblesse. Mais ensuite sa prudence le conduit, sans changer le nom républicain des choses, à subvertir méthodiquement leur réalité au point de se faire attribuer progressivement les pleins pouvoirs, la modestie apparente de son genre de vie dissipant les soupçons d’ambition à son égard. Surveillant déjà  le recrutement du sénat en qualité de censeur, il acquiert la puissance tribunitienne et l’imperium proconsulaire à partir de l’année – 23. En -12, il devient en qualité de grand pontife chef de la religion. Il réunit donc les pouvoirs civil, militaire et religieux.

Le nom d’Auguste change en même temps que s’accroissent ses pouvoirs. Né Caius Octavius en – 63, il devient à la mort de César en – 44 Caius Julius Caesar (Octavianus).  A l’apothéose de César, il est appelé Caius Julius divi filius Caesar ; après la victoire d’Actium  en – 31, imperator Caesar divi filius. Le sénat le proclame Auguste en – 27 : imperator Caesar Augustus. Il devient ensuite Pater Patriae  et après sa mort  en Campanie à 75 ans, il est, comme son père adoptif, proclamé divus, divin, par le Sénat. Dans la dernière salle, une statue de 3,30 mètres retrouvée dans le théâtre d’Arles représente cette apothéose du Princeps. Mais c’est l’Auguste de Prima Porta, que l’on voit dans la première salle, qui illustre le mieux le quatrième type, le quatrième message : Auguste est un dieu. Statue de 2,10 mètres en marbre de Carrare très fin, dont les cristaux retiennent la lumière, elle a été retrouvée dans la villa de Livie. La statue est celle d’un orateur qui fait  une allocution. En effet Auguste réussit par la négociation à se faire rendre les enseignes prises à Crassus  par les Parthes en 53 avant J.-C. (motif central de la cuirasse). A ses pieds, Eros sur un dauphin rappelle que, fils adoptif de César, Auguste descend de Vénus. Le ciel et son voile, la terre avec  sa corne d’abondance, l’aurore, la lune sont représentés aux quatre côtés de la cuirasse. Romulus et Rémus évoquent la naissance de Rome. Les provinces soumises, Afrique, Espagne ou Gaule, sont assises de part et d’autre, elles ne sont pas  écrasées. Sur les épaulettes, les sphinx rappellent la conquête de l’Egypte.

Les différents messages sont simples ; leur diffusion prend mille formes: statues de marbre ou de bronze dans les temples,  terres-cuites, pâtes de verre offertes par milliers au peuple, camées distribuées dans l’élite romaine. Les pièces d’or et d’argent font circuler l’image dans la totalité de l’empire.

Le culte impérial popularise la figure de l’empereur mais aussi les figures de la famille impériale. Sur l’une des faces de l’autel de la Paix, l’Ara pacis, se trouve la procession des membres de la famille d’Auguste. Les spécialistes hésitent sur l’identité de la figure féminine figurant sur les vestiges du bas-relief : Livie ou Julie ? et donc sur l’identité des enfants. Ce qui est sûr, c’est que le Princeps pratiqua constamment une stratégie  matrimoniale dirigée par la volonté de s’assurer un successeur. Sa première femme Claudia, belle-fille d’Antoine, fut vite répudiée ; la seconde aussi, Scribonia, quand elle eut donné naissance à leur fille Julie. Livia, la troisième femme, qu’il aima jusqu’à sa propre mort, appartenait à la puissante gens Claudia. Elle servit de modèle à la dame romaine, la matrona, dans le cadre du retour aux valeurs républicaines. Mais elle fut aussi, paradoxalement, associée à l’image de Vénus Genitrix : Vénus, à l’origine de la gens Julia ; genitrix, même si elle ne donna pas d’enfant à Auguste.
C’est finalement Tibère, le fils du premier mariage de Livie, qui fut choisi par Auguste pour lui succéder. C’était aussi le troisième époux de sa fille Julie, après Marcellus, fils d’Octavie (sœur d’Auguste), mort très jeune, et  Agrippa, général et ami d’Auguste, qui donna au Princeps trois petits-fils, Caius César, Lucius César, morts très jeunes et Agrippa Postumus, exilé du fait de sa mauvaise conduite. Autant de bustes réalistes, provenant des collections du Louvre, de Rome, de Toulouse, de collections particulières.

L’Ara pacis, Autel de la paix (après la victoire), célèbre la famille impériale. Mais il adresse au peuple un autre message, par  son ornementation, faite de motifs naturels, animaliers et floraux. Cette décoration de rinceaux et palmettes vient d’Egypte, comme en témoignent les plaques d’argile de la collection Campana représentant des paysages du Nil. Elle sera reprise à la Renaissance et figure une nature stylisée représentative de l’âge d’or. Selon Hésiode, les âges de fer et d’airain précèdent l’âge d’or (Aurea saecula). De fer et d’airain sont la République et ses guerres civiles, le programme politique et social d’Auguste apportant l’âge d’or. L’âge d’or, c’est la paix après les guerres civiles, c’est la prospérité après les victoires dans l’empire. Le motif des victoires ailées apparaît ça et là. Les autels des Lares (divinités familiales) interdits pendant les guerres civiles où ils exacerbaient les passions retrouvent leur fonction religieuse. On peut tourner autour de l’un d’entre eux.
L’âge d’or n’est pas seulement un thème artistique, il devient d’une certaine façon une réalité : Rome est reconstruite plus belle: « J’ai trouvé une ville en briques, je la laisse en marbre », dit Auguste dans Suétone. Dans la  ville malpropre, étroite, dangereuse, quatre-vingt-deux temples sont édifiés. Sur le Palatin où Romulus avait vu douze aigles se dressent le temple d’Apollon, les maisons d’Auguste et de Livie, plus riches que ne le dit la tradition, d’après les fouilles les plus récentes.  Auguste magnifie l’histoire de Rome et s’y inscrit lui-même.
Dans les arts, la tradition de la statuaire grecque est renouvelée par l’imitation personnelle qu’en font les artistes romains : statues d’Auguste (Auguste de Prima Porta inspiré de Polyclète), statues de Vénus (inspirées de Praxitèle, de Callimaque)… Le goût du luxe se manifeste par le grand nombre de pièces d’argenterie : figurent dans l’exposition quelques-unes des 109 pièces  du Trésor de  Boscoréale (Louvre) avec en particulier une magnifique coupe d’argent aux feuilles d’olivier, les objets de la vie privée des gens riches : bulle d’enfant en or, chaise curule, brasero, flacons de verre soufflé (dont un flacon-oiseau bleu aux formes très pures).

Le dernier étage de l’exposition est consacré à l’unification du monde romain.  Auguste s’occupe directement des provinces impériales qui sont plus agitées que les provinces sénatoriales, l’Espagne, la Gaule. Dans les provinces, la marque romaine est présente dans l’organisation de la ville : temple, forum, théâtre se retrouvent dans toute l’étendue de la Pax Romana. La Vénus d’Arles en particulier témoigne par sa beauté paisible de la présence comme naturelle de l’art romain dans les Provinces. Le masque de parade de l’armée de Varus rappelle au contraire le désastre subi par l’armée romaine en Germanie. Selon Suétone, Auguste se laissa pousser la barbe et les cheveux pendant plusieurs mois, se frappant la tête contre la porte en hurlant : « Quintilius Varus, rends-moi mes légions ».

L’art augustéen, un art de propagande ? Monarque éclairé avant l’heure, Auguste, aidé de son ami Mécène, a eu l’intelligence de mettre les ressources de l’art au service de son pouvoir. Mais l’art a besoin de la liberté intérieure de l’artiste pour donner sa pleine mesure. C’est ce qui explique, en dépit du grand intérêt historique de l’exposition, certaine déception que l’on peut ressentir à sa visite : il manque  un souffle de nouveauté, et de réelle grandeur.

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Pour accompagner la visite de l’exposition, on pourra lire ou relire  avec intérêt, dans la Vie des douze Césars de Suétone, la Vie d’Auguste, même si l’œuvre publiée en 121 après J.-C  est tardive et même si elle contient quelques erreurs. Pour la question de la littérature augustéenne on pourra se reporter aux Actes, quand ils seront publiés, du récent Colloque qui a eu lieu les 26 et 27 juin  au Grand Palais: « Auguste en mots, le princeps au miroir de la littérature ».

Le catalogue de l’exposition a été fait sous la direction des commissaires de l’exposition française, Daniel  Roger et Cécile Giroire, et de  l’exposition romaine organisée  en 2013 par l’universitaire Eugenio La Rocca. L’exposition parisienne est plus vaste.
Un clin d’œil à l’actualité politique française ? L’anaphore « Me principe » des Res Gestae d’Auguste, écrite en gros dans la première salle, n’est pas sans rappeler le programme du Président Hollande : « Moi président » ! Le hors-série du Figaro : Auguste, les promesses de l’âge d’or, fait le point sur les dernières avancées, en particulier en matière de fouilles archéologiques.

 

Maryvonne Lemaire

 

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