Dominique Thiébaut Lemaire a publié chez Le Scribe L’Harmattan Aérogrammes en 2010 et Courts poèmes long-courriers en 2011. Né en 1948, il est devenu haut fonctionnaire après des études littéraires à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Il a eu l’occasion de parcourir le monde.
Reliant ces voyages à l’histoire personnelle de l’auteur, le premier de ces deux recueils de sonnets illustrés par Sergio Birga (dont le site internet est accessible à partir de la rubrique Liens de « Libres Feuillets ») rassemble les aérogrammes inspirés par l’Europe, l’Afrique du Nord, le Proche et Moyen-Orient.
Le second recueil est consacré à de plus longs voyages, vers l’Afrique noire, les Amériques, l’Asie et l’Océanie. Il se prolonge par une méditation sur une destination intitulée « Ailleurs », à la fois plus lointaine et plus intérieure.
La quatrième de couverture de Courts poèmes long-courriers reproduit une appréciation du poète Bernard Noël (grand prix national de la poésie en 1992) à propos d’Aérogrammes: « J’aime beaucoup la forte simplicité de l’image en couverture et de celles qui ponctuent le livre: toutes d’une belle évidence. Et j’apprécie le risque couru par Dominique Thiébaut Lemaire avec ses alexandrins et ses sonnets. Cela me touche par la construction de bruits de langue dont la sonorité fait sens au-delà de l’immédiate signification ».
Après avoir lu Courts poèmes long-courriers, Bernard Noël a écrit à l’auteur ce mot daté du 3 juin 2011: « Merci, cher Dominique Thiébaut Lemaire, de ces nouvelles pages où je retrouve avec plaisir des élans et des sonorités réglés par la forme du sonnet. Il fallait oser ce risque et, dans un même mouvement, l’assumer avec une obstination qui en renforce le choix. Le poème introductif: « Il faut de tout pour faire un monde » est une belle déclaration pleine d’allant et d’ironie: j’en partagerais volontiers les implications. Vous savez que j’apprécie la contrainte de la forme parce qu’elle libère l’invention. J’espère que vous allez poursuivre sur cette lancée et vous souhaite d’en obtenir le meilleur. »
Aérogrammes, sonnet I
Nul besoin d’un bouteur pour aplanir le sol
Ni d’engins pour sabrer les feuillages qui cèlent
Des pièges d’eau qui dort coulant au bord des saules
Avec une lenteur désespérante et soûle
Lorsque tout fait obstacle à l’impatience lasse
Il suffit de partir où les avions s’élancent
La mer ne bouge plus tranquille entre ses laisses
A perte de regard les océans sont lisses
La terre simplifiée en surfaces de loess
Pures géométries décapées jusqu’à l’os
Où ne subsistent plus de traces qui font sale
A ce point clarifiée devient autre et bien plus
Dans l’écarquillement sans paupières ni cils
D’un regard de hublot qui voit l’épure seule
Aérogrammes, sonnet LXXX
Je parle d’une terre habitation de l’homme
Sans chercher dans le feu dans l’eau mère ou l’air pâle
Comme une éternité qui cacherait de l’âme
Loin de la foule humaine et loin des acropoles
Je parle d’une terre où l’esprit se révèle
Non dans le vent qui mime un discours sur les cimes
Des monts et des forêts mais dans le bruit des villes
Rumeur pleine de voix que l’éphémère sème
Le poète aimerait prêter aux mots la force
Que la nature donne à la flamme à la source
De sorte que le temps jamais ne les disperse
Mais peuvent-ils durer plus longtemps que les torches
De cités si perdues que nul ne les recherche
Au bord de fleuves secs dont les ponts n’ont plus d’arches
Rondeau en ouverture de Courts poèmes long-courriers
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut d’abord l’idée du tout
Se dire aussi la terre est ronde
Mais on ne peut en voir le bout
Des hauts des bas du plein des trous
Des jours de joie des nuits profondes
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut d’abord l’idée du tout
De la violence et des yeux doux
Sous un ciel qui s’ouvre en rotonde
Le bien qui donne un espoir fou
Le mal qui bruit avec faconde
Il faut de tout pour faire un monde
Illustration de la dernière partie de Courts poèmes long-courriers: « Ailleurs » (dessin de Sergio Birga)