Celui qui manque au devoir de justesse
Ne dit pas mieux que celui qui se tait
Quand il prétend par souci de justice
Préconiser un semblant d’amnistie
Pour éviter qu’en prison ne s’entassent
Les détenus dans un sinistre état
D’enfermement cafards et détritus
Mais fait-il preuve ainsi de sa vertu
Quelle vertu dans son idée factice
D’instituer un « numerus clausus »
Qui rendrait vain le sérieux des sentences
Non ce qu’il faut c’est qu’on paye et bâtisse
Des lieux humains sans rechercher d’astuces
Pour esquiver le coût des pénitences
Un « numerus clausus »? Mise à jour du 28 janvier 2013
Dans un rapport publié le 23 janvier 2013, une mission d’information parlementaire présidée par Dominique Raimbourg (PS) a fait des propositions destinées à remédier au surpeuplement des prisons. Les députés envisagent « si nécessaire » un numerus clausus, afin qu’il n’y ait pas plus de personnes incarcérées que de places. « Dès l’instant où un détenu entrerait en surnombre, celui qui est le plus proche de la fin de sa peine bénéficierait d’un aménagement dans les deux mois », a expliqué Dominique Raimbourg.
Mais la ministre de la Justice a déclaré le 27 janvier 2012 au Grand jury RTL/Le Figaro/LCI que le gouvernement est opposé à cette idée. Elle en a expliqué les raisons :
– Il est déjà prévu dans la loi qu’on examine la situation d’un détenu et qu’on décide de le faire sortir avant la fin de sa peine à condition de l’accompagner ; les efforts vont porter sur cet accompagnement des détenus à leur sortie de prison, notamment pour faciliter leur réinsertion;
– Il ne s’agit pas d’adapter les peines au nombre de places de prison, mais d’appliquer la loi;
– Ce gouvernement a confiance dans les juges et veut leur rendre de la liberté d’appréciation; il n’est pas favorable aux « mécanismes automatiques », qu’il s’agisse du numerus clausus ou des peines plancher votées sous le quinquennat précédent.
Les conditions de vie en prison
Pour compléter le proverbe du titre, on pourrait citer également celui-ci, d’origine espagnole : « Il vaut mieux visiter l’enfer de son vivant qu’après sa mort ».
Les conditions de détention dans les prisons françaises sont une honte pour notre pays, c’est connu depuis longtemps, notamment au sein des institutions internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe et CEPEJ – Commission européenne pour l’efficacité de la justice), mais les pouvoirs publics français, depuis longtemps, semblent étrangement aveugles et sourds à cette réalité.
Il est possible que certains considèrent comme faisant partie de la « punition » la dureté de la détention. Une attitude sans doute plus répandue, apparemment plus humaine, et en réalité plus pernicieuse, consiste à penser qu’il ne faut pas mettre d’argent dans le système pénitentiaire, ou le moins possible, parce que les prisons sont « du côté obscur de la force », et parce que ce serait inciter à l’incarcération ? Résultat : des conditions matérielles et morales souvent effroyables, dont ont témoigné le contrôleur général des prisons et son équipe, après avoir inspecté la prison des Baumettes à Marseille. Malheureusement, cette prison est loin d’être la seule dans un état plus que lamentable, et loin d’être la seule en situation de grave surpeuplement (pourtant, le pourcentage de la « population carcérale » par rapport à la population globale n’est pas particulièrement élevé en France).
Au 1er décembre 2012, selon les statistiques mensuelles de l’administration pénitentiaire, il y avait en France 67.674 détenus. Le nombre de places étant de 56.953, le taux d’occupation moyen des quelque 240 établissements ou quartiers pénitentiaires est de presque 120 %. Dans 10 établissements, il dépasse 200 %.
La tendance reste à la hausse, malgré une circulaire de politique pénale envoyée en septembre par la ministre de la justice aux parquets, leur demandant de privilégier pour les courtes peines des solutions alternatives telles que le bracelet électronique, plutôt que la détention. La ministre espérait ainsi, tout en réduisant les constructions de prisons prévues par le gouvernement précédent, apporter une réponse à la question de la surpopulation carcérale. Mais cette solution n’est pas à la mesure du défi auquel les pouvoirs publics doivent aujourd’hui faire face.
Revenons au cas de la prison des Baumettes. A la suite d’une inspection au cours du mois d’octobre 2012, le « Contrôleur général des lieux de privation de liberté » a publié, le 6 décembre 2012, des recommandations relatives à l’état préoccupant de ce centre pénitentiaire.
A la demande de la Section française de l’observatoire international des prisons (OIP), le juge des référés liberté du tribunal administratif de Marseille, par une ordonnance du 13 décembre 2012, a ordonné à l’administration des mesures considérées comme insuffisantes par l’OIP: veiller à ce que chaque cellule soit dotée d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement, faire procéder à l’enlèvement des détritus, modifier la méthode de distribution des plateaux repas, jusqu’ici posés à proximité des bennes à ordures, et à même le sol en dépit de la présence de nombreux insectes (cafards, cloportes…) et de rats.
Le juge des référés du Conseil d’État a été saisi en appel par l’OIP, soutenue par plusieurs organisations d’avocats et de magistrats. Par une ordonnance du 22 décembre 2012, il a rappelé les libertés fondamentales des détenus, et ordonné des mesures en plus de celles qui ont été prescrites par le tribunal de Marseille.
Il a commencé par réaffirmer que l’administration pénitentiaire est tenue de protéger la vie des détenus et leur dignité, qui constituent des libertés fondamentales. Il a relevé que la carence de l’administration dans l’entretien de la prison a porté une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés.
Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de prescrire une inspection de l’ensemble des cellules individuelles, dès lors que les mesures entreprises ou initiées par l’administration pénitentiaire à la suite des recommandations du contrôleur général des prisons – vérification des installations électriques et de plomberie (l’administration s’étant engagée à embaucher six ouvriers pour assurer la fourniture d’eau et d’électricité dans les cellules), fermeture de cellules impropres à l’hébergement des détenus, engagement de travaux de réfection d’autres cellules – rendaient inutile cette nouvelle inspection.
Il a en revanche estimé que les mesures prises par l’administration pour mettre fin à la prolifération de rats et d’insectes (renforcement des effectifs du service d’entretien, augmentation de la fréquence des opérations de dératisation) étaient insuffisantes pour remédier à la situation. Il a donc prescrit à l’administration dans un délai de dix jours :
– un diagnostic des prestations de lutte contre les animaux nuisibles à intégrer dans le prochain contrat de dératisation et de désinsectisation, qui devra prévoir des interventions préventives et curatives adéquates;
– dans l’intervalle, une opération d’envergure permettant la dératisation et la désinsectisation de l’ensemble des locaux des Baumettes.
Une troisième fois, le 10 janvier 2013, l’administration pénitentiaire a été condamnée à exécuter des travaux dans cette prison. Le tribunal administratif de Marseille, à nouveau saisi par l’OIP, a ordonné de procéder dans les trois mois aux travaux d’étanchéité d’un bâtiment, d’installer des cloisons devant les toilettes dans 161 cellules, de mettre en conformité les installations électriques, et de réparer les monte-charges d’évacuation des déchets (voir notamment sur ces points le journal Le Monde du 12 janvier 2013, page 11) .
Cela dit, il ne suffira pas de traiter ces carences pour remédier au délabrement général du système pénitentiaire. Lequel est le symptôme le plus aigu de la crise de la justice française dans son ensemble (lois non appliquées, non-exécution des peines, durée excessive de la détention provisoire, etc.), justice dont les moyens matériels et humains, on le sait, sont cruellement insuffisants, ce qui apparaît avec évidence à la lecture des statistiques internationales lorsqu’on compare à d’autres notre « pays des droits de l’homme ».
Dominique Thiébaut Lemaire
Un article instructif et nécessaire sur une situation qui doit et peut être changée. Un problème d’urgence nationale. Vive la poésie engagée!