Elle a reçu la Grèce à bras ouverts
Et maintenant la tient à bout de bras
L’Europe a cru qu’un abracadabra
Résoudrait tout dans cette triste affaire
D’abord prodigue à tort et à travers
De trop d’argent mettant dans de beaux draps
Ses obligés fatalement ingrats
Elle a reçu la Grèce à bras ouverts
Puis quand la crise est devenue sévère
Elle a voulu se tirer d’embarras
Mais elle a vu le peuple grec lui faire
Un bras d’honneur après un bras de fer
Et maintenant le tient à bout de bras
L’Europe tient la Grèce à bout de bras, mais la Grèce aussi tient l’Europe. Celle-ci, en cette période de fragilité vis-à-vis des marchés financiers, ne peut se permettre un échec dans ce dossier.
En ce qui concerne la France, si l’on se réfère au projet de loi de programmation des finances publiques 2012-2017, l’endettement (au sens de Maastricht) imputable au soutien à la Grèce s’élèvera en 2012 à 36,1 milliards d’euros, dont 11,4 milliards de prêts bilatéraux et 24,6 milliards apportés au fonds de secours européen (FESF). Cette exposition au risque grec va croître dans les années à venir. Il n’est pas prévu d’augmenter le montant des prêts bilatéraux à Athènes, mais l’endettement via le FESF va s’élever jusqu’à 31,6 milliards d’euros en 2014. Ainsi, l’endettement français en faveur de la Grèce sera de 40 milliards en 2013 et de 43 milliards en 2014 (évaluations antérieures aux mesures décrites ci-dessous).
Après une énième réunion non conclusive, les ministres des finances de la zone euro et la directrice du Fonds Monétaire International (FMI) se sont à nouveau réunis les 20 et 21 novembre 2012, pour trouver un accord sur la reprise des crédits à Athènes, et sur le moyen d’alléger la dette grecque (qui menace d’atteindre 190 % du PIB en 2014 malgré les précédents plans de sauvetage européens, alors qu’elle ne dépassait pas 140 % du PIB fin 2010), afin qu’elle puisse revenir au niveau de 120 % en 2020, un objectif d’ailleurs jugé irréaliste en fin de compte. Au bout de 10 heures de discussion, ils ont quitté vers 5 heures du matin le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles: sans avoir encore déterminé comment diminuer la dette publique grecque, ni débloqué les dizaines de milliards d’aides en suspens depuis le premier semestre 2012.
Que penser de ces tractations de l’Eurogroupe? Après la suppression de la moitié des créances privées il y a un an, la question se pose aujourd’hui d’une restructuration de la dette grecque détenue par les entités publiques. Le FMI a recommandé ce nouvel effacement, à la charge des Etats européens, mais ceux-ci y sont hostiles, car il en résulterait un gonflement de leurs déficits, et ils ont proposé d’autres mesures pour alléger le fardeau financier pesant sur ce pays en récession depuis plusieurs années.
Dans la nuit de lundi à mardi 27 novembre, après une nouvelle réunion interminable, les Etats de la zone euro et le FMI sont parvenus à mettre en sourdine leurs divergences. 34,4 milliards d’euros vont être versés en décembre 2012, et 12 milliards par tranches, en 2013, si Athènes respecte ses engagements en matière de réformes.
De plus, un compromis partiel a été élaboré pour tenter d’alléger le fardeau de la dette grecque. Il a été convenu que cette dette serait ramenée à 124 % du PIB d’ici à 2020, ce qui représente un allégement de 40 milliards d’euros, par une combinaison de mesures dans lesquelles beaucoup voient un « bricolage »: moratoire sur des remboursements d’intérêts, allongements de prêts, baisse de taux, rachat de dette par la Grèce « à prix cassés », affectation des gains réalisés par les banques centrales européennes sur leurs obligations d’Etat grecques, à un compte bloqué consacré au désendettement de la Grèce…
Les ministres sont également convenus de prendre, si nécessaire, les mesures permettant de ramener sous 110 % du PIB la dette grecque d’ici 2022.
Le 13 décembre 2012, à l’issue d’une réunion exceptionnellement brève, l’Eurogroupe a formellement approuvé le déblocage de l’aide financière pour la Grèce, qui n’avait rien reçu depuis avril 2012, et qui évite par ce versement la faillite.
La zone euro va verser 49,1 milliards d’euros d’ici fin mars 2013 : 34,3 milliards dans la seconde quinzaine de décembre 2012, via le Fonds européen de stabilité (FESF), plus 14,8 milliards par tranches dans le courant du premier trimestre 2013. Le déblocage par le FMI de sa propre tranche de prêts, 3,4 milliards, devrait donc porter au total à 52,5 milliards d’euros les fonds versés à la Grèce d’ici le printemps 2013.
11,2 milliards d’euros ont été prévus pour le rachat de dettes par la Grèce, au tiers de leur valeur. Le pays doit consacrer le reste à recapitaliser ses banques en deux fois (16 milliards en décembre, et 7 milliards entre janvier et mars 2013), et à s’acquitter de ses dépenses courantes et arriérés auprès de ses fournisseurs (7 milliards en décembre 2012 et 11 milliards entre janvier et mars 2013).
Contre l’avis du FMI, plusieurs pays tels que l’Allemagne, les Pays-Bas,la Finlande, ont refusé d’effacer une partie de la dette publique grecque, mesure électoralement délicate, notamment en Allemagne, dont on craint qu’elle ne constitue un précédent.
Ironiquement, l’Allemagne, qui avait le plus insisté pour obtenir la collaboration du FMI lors du premier plan de sauvetage grec en 2010, est désormais la plus opposée aux demandes de cette institution.
Mais la zone euro échappera-t-elle finalement à un nouvel effacement pur et simple d’une partie de la dette grecque? On peut en douter.
(mis à jour le 15 décembre 2012)
Dominique Thiébaut Lemaire
P.S. Voir au sujet des effacements de dette, dans Libres Feuillets, l’article de Maryvonne Lemaire intitulé La remise des dettes en Grèce au temps de Solon (VIe siècle av.J.-C.).