C’est un roman qui parle de la Corse
Et qui n’est pas fleuri comme un corso
L’homme sauvage y charcute les bourses
De ses verrats comme d’autres pourceaux
Le philosophe y a cru au commerce
D’un bar plus vrai que les universaux
L’ami lecteur se sent devant ces mœurs
Plus étranger que le nommé Meursault
En Algérie la sœur archéologue
Cherche à Hippone un résidu romain
Qui ennoblit le niveau du discours
Noir mais flatteur par le bel épilogue
De son succès premier à l’examen
Ce roman corse a gagné le Goncourt
Le prix Goncourt 2012 a été attribué le 7 novembre 2012 à Jérôme Ferrari pour son roman intitulé Sermon sur le chute de Rome, dont le titre fait référence à Saint Augustin, évêque de la cité d’Hippone aujourd’hui en Algérie.
Cette œuvre a fait l’objet d’une présentation de Martine Delrue publiée dans Libres Feuillets le 18 septembre 2012, de même que Martine Delrue avait pressenti l’attribution du Goncourt 2011 à L’art français de la guerre (aussi long que le Goncourt de cette année est court), présenté par elle le 17 octobre 2011.
Entre la chute de l’empire romain et le village corse dont nous parle ce roman, l’écart paraît énorme de prime abord, mais il n’est plus infranchissable si l’on passe par le détour de « l’empire colonial » français dans l’organisation duquel, précisément, les Corses ont joué un rôle important, comme le montre le personnage de Marcel, administrateur des colonies, grand-père du philosophe défroqué revenu au pays, Matthieu, protagoniste du roman.
Dans un article du journal Le Monde daté du 9 novembre 2012 et dont le titre commence par: « Vu de Corse », Ariane Chemin a écrit: « Aucun juré sans doute ne sait que Ferrari est assez corse pour tenir, il y a quelques mois encore avec l’écrivain Marc Biancarelli un site satirique où, singeant les vieux insulaires revenus des colonies, ils appelaient à la reconquête de l’Indochine et l’Algérie. »
« L’empire » de la France a changé de nature. On pourrait dire, en s’inspirant des exemples donnés par Jérôme Ferrari, qu’il est représenté dans de nombreux pays par des archéologues tels que la sœur de son personnage Matthieu, ou par des enseignants, tels que lui-même, qui a enseigné en Algérie, et qui enseigne aujourd’hui à Abu Dhabi.
En ce qui concerne la Corse proprement dite, où Matthieu et l’un de ses amis ont repris la gérance d’un bar, le roman en donne une image sombre. Comme l’a écrit Martine Delrue: «l’atmosphère dans le village corse est en effet nettement brutale, voire brute; le lecteur est transporté dans un roman noir et violent ».
Mais, paradoxalement, bien que ce roman soit très critique, il est possible que l’Ile de Beauté soit flattée de son succès, comme nous l’indique l’article du journal Le Monde mentionné plus haut, qui donne ces informations: « Jour de Goncourt, titre jeudi 8 novembre Corse-Matin sur cinq colonnes à la lune. Avant de la combler d’aise, Jérôme Ferrari a pourtant longtemps dérangé dans son île. Dans les chroniques culturelles acerbes qu’il a tenues, deux ans durant, dans le journal nationaliste Paese, le prof de philo formé à Paris s’est fait très jeune pas mal d’ennemis. »
Le livre aurait déjà été vendu à 90.000 exemplaires à la date où le prix a été décerné. D’après un article des Echos du 18 novembre 2012 (intitulé: « Le Goncourt force la croissance de l’éditeur arlésien Actes Sud »), la présidente du directoire d’Actes Sud caractérise ainsi quelques-unes des qualités du livre, dont elle espère vendre 600.000 exemplaires: « abordable, rapide et pas cher ». Heureusement, ce roman ne se réduit pas à ces adjectifs.
Dominique Thiébaut Lemaire