Le dernier concert, hommage à Uña Ramos. Texte d’Elisabeth Rochlin.

Cet hommage relate les derniers actes d’une vie, mais le concert final appartient autant au rêve qu’à la réalité.   

« Ce qui m’a inspiré, disais-tu à propos de La Voz del viento, c’était la voix du vent entre les montagnes. J’aimais jouer face à elles, et qu’elles me renvoient mon écho. Le vent, partout, le Zonda, le Mistral, l’Harmattan. »

Après un concert, devant une salle de trente personnes, ou cinq cents, ou deux mille, après avoir tout donné, après la dernière salve d’applaudissements, quand venait l’heure d’avoir faim et soif, et sommeil, tu fronçais le sourcil, ton regard s’embrumait : « Dans Cometa de Luz, le charango a pris du retard…Omar, tu as raté ton entrée dans Vidala del Solitario. Heureusement que tu t’es rattrapé avec le Da capo. »

À l’écoute de la prise de son d’un enregistrement live correspondait souvent le comble de ton insatisfaction : « C’est quoi ce travail dans La Catedral ? Il a fait quoi, l’ingénieur, avec la douze cordes ? Elle est tellement compressée qu’on n’entend plus que la flûte ! »

À Paris, à Tokyo, à Berlin, ailleurs, tu ne manquais jamais d’ajouter : « Le public était content, non ? C’était plein ! »

Et enfin venait la dernière remarque : « Le jour où je donnerai un grand concert avec orchestre dans mon pays, je suis sûr que ce sera parfait. Je n’ai plus rien d’autre à désirer. » Au fil des ans cette remarque s’est transformée : « Quand se décideront-ils à m’organiser une tournée dans mon pays ? S’ils ne font rien, ils ne m’y verront plus. Attendent-ils que je sois mort ? » Elle changea encore les derniers temps : « Je sais bien : après ma mort ils me feront toutes sortes d’hommages, et jamais je n’aurai joué là-bas de mon vivant. »

À présent tes cendres, arrivées à travers le ciel, sont en train de quitter la Cathédrale de Nuestra Señora de la Candelaria ; ils sont tous là, plus de deux cents musiciens. Accompagnés par leurs instruments, quenas, antaras, mohoceños, quenachos, erkes, ils suivent l’urne du joueur de flûte, tous les Jujeños, et tant d’autres qui ont conflué ce matin vers la Quebrada de Humahuaca. La procession, torrent qui remonterait vers sa source, suit l’avenue qui bientôt portera ton nom, commence à gravir le sentier qui mène à la montagne sacrée de la Peña Blanca. « Nous étions tous tes enfants ! » crie une voix. « Tu vas retrouver Tata Wayra, le vent », s’exclame une autre.

Les kilomètres se succèdent, le cortège s’étire, les musiques s’enchaînent. Parvenus au terme du chemin, dans l’air raréfié, certains sont hors d’haleine. C’est l’éclat de la fin d’été du Capricorne, la montagne irradie de lueurs violettes. Le flot humain s’immobilise, les têtes brunes s’alignent en surplomb face à l’à-pic. L’urne scellée est déposée sur une pierre. Un bref coup de marteau, elle se fend et libère les cendres. Tous font silence.

C’est l’instant que le vent choisit  pour se lever ; il s’engouffre entre deux sommets, une rafale s’abat, emporte en tourbillon les cendres. La montagne gémit, l’écho se plaint, le vent siffle et tournoie, joue à danser avec toi, t’emmène tout en haut, avant de s’apaiser, te laisser doucement redescendre et t’éparpiller  sur les flancs de la Peña Blanca, tandis que vous exhalez un dernier soupir, une dernière note, ensemble.

Elisabeth Rochlin

L’oeil de Vivian Maier. Par Henri Lewi

A la recherche de Vivian Maier [1], film de 2013.

 Dans une brocante un jeune homme achète quelques valises pleines de négatifs, de pellicules non développées ; découvre une photographe immense ; interroge ceux qui l’ont connue. On peut prendre À la recherche de Vivian Maier comme une tentative pour montrer, autant qu’il se peut faire, l’œil qui était derrière les photos de l’artiste, combler les intervalles entre celles-ci ; les péripéties des rencontres et des interviews restituant la déambulation de Vivian Maier ; autre forme d’enquête sur l’origine du chef-d’œuvre, sur la création.

 Je m’interroge sur le succès d’un tel documentaire ; mais c’est aussi comme un film de fiction : l’enquête post mortem est une forme fictive aussi, romanesque et cinématographique, ainsi Citizen Kane. Quel Rosebud, quelle photo peut-être, essentielle, concentreraient l’inconnaissable de Vivian Maier ? Elle-même apparaît constamment dans ses propres photos parmi ceux qu’elle photographie, clochards, femmes jeunes et vieilles, oiseaux et chevaux, objets abandonnés, poutrelles et  dentelles d’une ville américaine ancienne ; on voit une jeune femme belle et sérieuse ; actrice et personnage de ce film posthume, de sa propre vie. Ainsi le réel dans le cinéma américain devient-il fiction : la musique soulignant le suspense, les surprises de l’enquête, d’une interview à l’autre : ceux pour qui Vivian Maier fut comme un personnage de Salinger, adulte enfant raconteur d’histoires, organisateur de grands jeux ; ceux, ou les mêmes, qu’elle terrorisa : une galerie d’anciens enfants, d’anciens parents, tous plongés quelques instants dans l’univers d’une femme de génie, durablement charmés et traumatisés [2].

 Un personnage qui serait dans l’imaginaire une artiste géniale, un génie de la photographie ; une double vie, et d’abord pour elle-même : apparente nourrice et génie secret. Quel personnage était pour elle le plus réel ? Vivian Maier jouait sa vie. Elle aimait les grands chapeaux, les robes d’une facture ancienne. Elle marchait comme un soldat qui défile. Elle avait ou s’était fait un accent français, c’était peut-être une comédie, une escroquerie continuelle, a fake, ou peut-être non. La photographie participait elle aussi d’un jeu, ou d’une folie : elle ne supportait pas qu’on la touche, c’est pourquoi, est-il dit, elle devint photographe. Elle vivait de loin, à distance d’objectif, par procuration, par les yeux, en lisant le journal. Elle photographiait une existence dont elle était exclue, menait une vie extérieure à la vie.

Une névrosée, crazy, à la limite de la folie. Conservant tout, c’est-à-dire les restes dérisoires d’une vie purement déambulatoire et spectatrice, billets de train et de cinéma, tickets de métro, journaux. Photographier était aussi un moyen de tout conserver, l’instant, l’univers à chaque instant ; ainsi les diaristes obsessionnels. Mais pourquoi n’avoir pas, ou quasiment pas, tiré ses photos ? Que signifie conserver chaque instant, quand la photo ne devient même pas négatif, quand elle reste dans la pellicule ? Peut-être, est-il écrit, l’activité photographique paraît-elle ici sous sa forme la plus pure : le plaisir solitaire d’avoir vu, visé, cadré, appuyé sur l’obturateur. Ces pellicules, c’étaient des souvenirs pour soi seul, promises au destin des billets de train et des vieux journaux. Un journal intime, pour nul autre que soi-même écrit, même pas écrit.

Étrangeté de ces photos de Vivian Maier, sortant tout à coup d’un monde intérieur, de la pensée ; réelles mais irréelles aussi. Autrement que d’autres photos peut-être, celles-ci dûment tirées, jaunies, dormant dans les greniers, les albums familiaux ; œuvres d’inconnus dans des villes de province [3], de petites gens et  d’obscurs notables, de tant d’enfants à qui on offrit un appareil-jouet, comme Lartigue, le photographe peut-être le plus proche de Vivian Maier.

Étrangement réelle aussi, une maîtrise, celle qui découle d’une passion solitaire, sinon d’un enseignement. Elle vivait sa vie le réflex sur l’estomac. Avait-elle vu les photographes répertoriés auxquels on la compare, Robert Frank, Diane Arbus ? Dira-t-on qu’elle fut autodidacte ? L’appareil photographique, comme toujours peut-être, a plutôt ici sa volonté propre, réinventant plutôt qu’inventant ; c’est lui qui se mit à photographier les gens dans la rue, dès l’instant qu’il ne fut plus chambre énorme, avec plaques et rideau noir. Que peut-il y avoir de personnel, non pas dans un montage photographique ou une photo prise en studio, mais dans un instantané ? Peut-on reconnaître un photographe des rues comme on reconnaît un peintre ou un musicien ?  On reconnaît, peut-être, une photo de Cartier-Bresson ou de Robert Frank qu’on a déjà vue. Vivian Maier, comme tous ses collègues, n’avait qu’à fixer ce qui l’arrêtait, objets et êtres humains. Parfois, elle demandait à ceux-ci leur permission, parfois non.

On voit sur un petit film à Beaubourg Cartier-Bresson dans la foule ; très grand,  veste et pantalons bien repassés, le Leica derrière le dos, il danse étrangement parmi les gens, tout à coup se figeant et frappant comme un serpent. Cartier-Bresson pourtant ne voit qu’à travers des filtres, il fabrique sans se lasser (jusqu’au dégoût final, un retour à la vocation picturale) des cadrages bizarres, de l’étrangeté, de la propagande ;  Vivian Maier était vraiment seule, solitaire, inféodée à nul parti ni groupe ; jetée dans le réel nu, l’instant contradictoire.

En quoi consiste la beauté d’une photo ? J’ai regardé moi aussi, sur le site de John Maloof, les photos de Vivian Maier : nombreuses sont celles qui touchent et intéressent, paraissent plus belles que beaucoup de photos connues ; ainsi telle photo de ville nocturne illuminée, Chicago, Los Angeles ou  New-York où elle vécut, prise de très haut : ville scintillante comme un arbre de Noël, vivante de tous ses foyers ; bien différente  des photos de villes de Bérénice Abbott, commandes d’un bureau d’urbanisme municipal, froides et ennuyeuses : dans les photos de Vivian Maier le sentiment est toujours là, compassion ou émerveillement ; aucun apitoiement jamais ; la plupart du temps un regard amusé et joueur. Un oiseau s’envole au bord d’un quai, un cheval passe sous un pont du métro, une pyramide d’Egypte est presque cachée par un cul d’âne qui était là lui aussi. Mais c’est le portrait qui domine ici, retrouvant une naissance de la photo, de l’art lui-même : partout le regard insondable d’une individuation, richesse invisible et présence absolue, qu’il s’agisse d’une jeune fille ou d’un clochard ; parmi tous ces regards celui de la photographe n’est pas le moins prenant.

 

 

[1]  A la recherche de Vivian Maier, film de Charlie Siskel avec Vivian Maier, John Maloof

[2] Dans le film de Charlie Siskel paraît une insensibilité, même une cruauté. Nourrice, Vivian Maier se sert des enfants comme d’une couverture, les mène sur les lieux du crime ou aux abattoirs. Parfois elle les perd volontairement dans les rues de la grande ville.

[3]  Ainsi le père de Lalla Romano, dont celle-ci commente les photos familiales dans un beau livre. (Lettura di un’immagine, Einaudi 1975).

 

 

 

 

Henri Lewi

 

 

 

 

 

Le Quintette vocal Antoine Geoffroy Dechaume. Et le duo de la Libelle amoureuse sous la voûte de l’Espace Le Scribe L’Harmattan (mise à jour du 04/07/14)

Avec un répertoire du XVème siècle à nos jours, qui fait redécouvrir ou découvrir des canons, des mantras, des mélodies du monde, des chansons populaires et traditionnelles, poétiques, mythologiques, spirituelles et sacrées, Claude Palacios et Maria-Carla Cialone pratiquent joyeusement l’art de l’improvisation.

Leur précédent spectacle musical intitulé « Elle pleure des papillons », donné par l’ensemble vocal Antoine Geoffroy Dechaume, quintette a capella, le 15 juin 2013, a fait l’objet du compte rendu suivant par Maryvonne Lemaire dans Libres Feuillets (repris ici):
« C’est un quintette féminin. Maria-Carla Cialone, musicienne, mène discrètement le groupe des quatre autres chanteuses, Claude Palacios sa partenaire dans les duos de la Libelle Amoureuse, Michèle Cugnier, Françoise Delattre, Danielle Siramy.
« La tonalité d’ensemble est la gaieté, la légèreté, la recherche de l’harmonie. La facilité apparente est due au travail sur la respiration, le souffle et le silence. Dans tel chant révolutionnaire, la vivacité devient rebelle. Deux ou trois duos sont très applaudis: la voix de chacune y est mise en valeur, en particulier dans « La Reine de cœur » de Poulenc, sur un poème de Maurice Carême. Le répertoire de chants remontant jusqu’à la Renaissance nous plonge dans un univers de paroles et de chansons populaires ou savantes.
« Antoine Geoffroy Dechaume, « saint patron » du quintette, est un musicien qui a contribué au XX° siècle à la redécouverte des musiques anciennes du XV° au XVIII° siècle.
« Les plus humbles comme les plus grands chefs, selon Carla Cialone, chanteurs, instrumentistes, facteurs d’instruments, danseurs, chercheurs sont tous venus de par le monde suivre ses enseignements. Son accueil était d’une grande générosité et il témoignait autant d’attention aux plus simples novices qu’aux plus prestigieux professionnels ».
« Poésie et magie. Avec rien, avec le souffle, la voix de chacune, avec des  mots simples et anciens, de la gaieté et un grand souci d’accorder les tonalités et les registres de chacune. Le travail de création n’apparaît pas mais explique les performances obtenues.
« Un beau moment de plaisir partagé. »

Leur plus récent spectacle a eu lieu le vendredi 27 juin 2014 dans le cinquième arrondissement à l’Espace Le Scribe l’Harmattan, auquel il a apporté une diversification supplémentaire.
Les auditeurs ont pris plaisir à écouter dans la cave voûtée de ce lieu de rencontre au bord de la Seine les deux chanteuses qui ont interprété dans une allégresse  communicative plusieurs textes et airs de leur répertoire, en particulier : deux nocturnes de Mozart ; des airs sur deux poèmes de Clément Marot ; « La Reine de cœur » de Poulenc ; un canon d’Antoine Geoffroy Dechaume réduit à deux voix sur le thème : boucles et mèches revêches, réconciliées à la fin par une mise en plis ; une chanson du Mali ; des chansons « françaises » chantées avec la salle, comme « La Java bleue », mais aussi des airs tels que « Ma mère m’a donné un mari », et « Ah vous dirais-je maman » (attribué à Mozart). S’agissant de ces derniers morceaux, que l’on croit bien connaître, les auditeurs ont pu apprendre que les comptines, sous leur apparence enfantine, étaient aussi des jeux mondains à double sens pour les « grandes personnes ».

Une seule petite réserve, concernant l’aspect vestimentaire : les longues tuniques aux couleurs fleuries et les couronnes dans les cheveux donnent au duo une allure qui peut sembler un peu trop ingénue, et que les artistes gagneraient sans doute à remplacer par une tenue plus contemporaine.

Cette remarque mise à part, on notera les nombreuses qualités exprimées sans le soutien d’aucun instrument, la vivacité, l’originalité, la savante simplicité, la justesse, l’accord des voix qui peuvent intervertir entre elles le grave et l’aigu …

Ce spectacle de musique vocale mérite un large auditoire.

Dominique Thiébaut Lemaire et Maryvonne Lemaire

 

 

Adresses :

l’Espace Le Scribe l’Harmattan dans le cinquième arrondissement, 19, rue Frédéric Sauton – 75005 Paris, Métro Maubert Mutualité.
Téléphone : Osama Khalil 06 99 42 87 65. Email : fatiharmattan@hotmail.fr

Carla Cialone : 06 42 00 12 13
maria.carla.cialone@gmail.com http://www.lalibelleamoureuse.org/bienvenue
http://musique-et-danse-en-cercle.vivonslamusique.org/
Maria-Carla Cialone et Claude Palacios animent l’association « Vivons La Musique» qui s’adresse aux amateurs comme aux professionnels de tout âge qui désirent pratiquer dans leur quotidien la musique, art de vivre ensemble. Les activités en 2013-2014 sont sous la direction musicale de M.C. Cialone. Des ateliers musicaux sont organisés tout au long de l’année à Paris mais aussi des stages d’été.La 5ème édition du stage résidentiel d’été a lieu au château médiéval de Mézerville du 23 au 29 juillet 2014.

Uña Ramos (1933-2014), musicien des Andes et du monde

Uña Ramos, né le 27 mai 1933 à Humahuaca en Argentine, localité située à 3000 m d’altitude près de la frontière avec la Bolivie, est mort dans un hôpital de la région parisienne le 23 mai  2014.

Indien des Andes aux cheveux longs, compositeur et instrumentiste renommé, il était un virtuose des instruments de musique de l’”altiplano”, en particulier la flûte droite, la quena, et la flûte de Pan, l’antara, mot de la langue quechua.

Voici ce que sa femme Elisabeth Rochlin (poète et auteur de nouvelles, traductrice d’Erasme) a écrit sur sa musique en 2002 dans la présentation de son disque intitulé “El Pajaro de los Andes”, le pivert des Andes (d’après une légende amérindienne, le pivert ou pic vert, qui creuse le bois avec son bec, serait l’inventeur de la flûte) :

La flûte “fut le premier cadeau à l’âge de quatre ans qu’il demanda à son père. Depuis, chaque flûte dont il joue est d’abord fabriquée de ses mains, inlassablement polie et travaillée jusqu’à paraître, faite de roseau ou de buis, plus douce au toucher que la soie, plus veloutée à l’oreille que l’imaginaire mélodie des sphères célestes, chaque trou étant percé selon cette recherche d’équilibre parfait des proportions musicales. Alors le chant, la complicité, s’élèvent entre Uña et son instrument selon un accord parfait puisque doigts et souffle jouent à travers ce qu’on pourrait nommer leur nombre d’or…

“Ce qui a fait de lui un enfant prodige, enseignant la musique au conservatoire en Amérique latine dès l’âge de onze ans, ce n’est pas seulement un don exceptionnel d’interprétation ; déjà autour de lui les professionnels sentaient bien qu’il existait en cet enfant quelque chose de différent, qu’il avait quelque chose à dire – et à apprendre aux autres – que nous pourrions nommer le pouvoir de changer le monde sous forme d’une musique à laquelle tout homme, de toute culture et de toute origine, peut s’identifier ; un morceau composé par Uña, comme toute œuvre classique, défie le temps et l’espace. De la France où il vit, Uña a emporté ses rythmes et ses notes dans le monde entier.

“ … Sur scène, à le voir ou à l’écouter, au plus intime de nous-mêmes, nous sentons que la respiration humaine, grâce à sa flûte, transgresse ses limites.”

Dans sa jeunesse, son père et lui partaient ensemble, emportant leur flûte et de quoi se nourrir. Selon Uña Ramos, son père lui disait : va jouer ta musique dans la montagne, et la montagne te répondra. A l’âge de sept ans, il a donné son premier concert. A onze ans, il a commencé à enseigner la musique andine au conservatoire de Santiago del Estero. Au début des années 1970, il a fait une tournée internationale avec Paul Simon (du duo Simon et Garfunkel) et le groupe “Los Incas” (devenu ensuite le groupe Urubamba), interprétant de grands succès tels que « El Condor Pasa », le condor passe.

Venu s’établir à Paris en 1972, il a connu une célébrité mondiale dans les années 1970, 1980 et 1990, en France, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Italie, au Japon…

Il a reçu en France le grand prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1979 pour « Le Pont de bois ». En 1980, il a participé à la “Symphonie celtique”, présentée par Alan Stivell au Festival interceltique de Lorient, associant les cultures andine, berbère, indienne, tibétaine…

Uña Ramos, dont l’un des guitaristes a été François Fichu, a proposé en 1981 à Bruno Ulysse Pauvarel de l’accompagner à la guitare sur scène et sur disque, et d’écrire les arrangements de son album « La Vallée des coquelicots » qui est sorti début 1982 et qui a été réédité en Amérique du Sud en 1991 sous le titre “La Magia de la quena”. A la suite de cette rencontre, on peut mentionner : de 1982 à 1985 : des concerts en Europe et une tournée en Argentine ; en 1986 : l’enregistrement du CD « La Princesse de la mer »; de 1987 à 1992 : des concerts dans toute l’Europe.

Le très grand succès rencontré en Allemagne par le duo flûte et guitare dans les plus grandes salles de concert classique a abouti à l’enregistrement en 1994 d’un CD en direct au fameux Philharmonique de Berlin :  » Una flauta en la noche -Volume 1  » chez Arton Records. A la même époque, Uña Ramos s’est aussi produit dans les pays de l’Est. En 1995, « Una flauta en la noche – Volume 2  » a été enregistré à Berlin.

D’autres concerts ont suivi en France ainsi qu’une tournée au Japon, pays où il a vendu au cours de sa carrière des millions de disques. En 1996, c’est l’enregistrement d’un nouveau CD en France, « Le souffle du roseau », chez Harmonia Mundi, et des concerts en Europe. Et le Philharmonique de Berlin a accueilli de nouveau Uña Ramos par la suite. Un nouveau CD intitulé « Live in France 2004 » (enregistrements en direct en décembre 2002) est sorti fin 2004. Les derniers récitals du flûtiste ont eu lieu en Allemagne à la fin de la première décennie des années 2000, principalement à Berlin en janvier 2007.

Uña Ramos, unissant subtilement la musique traditionnelle des Andes et la musique européenne, a créé des œuvres qui touchent tous les auditeurs, quelles que soient leur culture et leur langue. On peut écouter sur internet un grand nombre d’entre elles.

Les flûtes des Andes, animées par sa musique et son souffle, captivent par leur son voilé qui contraste de manière prenante avec la pureté des mélodies et des rythmes.

A la fin de sa vie, il a été affecté par le déclin de l’engouement pour la “flûte indienne”, qui avait marqué les décennies précédentes. Mais il laisse un très beau témoignage de vitalité et de joie musicale non dépourvue de gravité.

Maryvonne et Dominique Thiébaut Lemaire

Le quintette vocal Antoine Geoffroy Dechaume. Présentation par Maryvonne Lemaire

 

Elle pleure des papillons, spectacle musical donné par l’ensemble vocal Antoine Geoffroy Dechaume, quintette a capella, le 15 juin 2013, au théâtre Pixel à Paris.

***

L’éventail qu’on m’a donné à l’entrée ne semble pas superflu pour affronter la chaleur qui règne dans ce petit théâtre du XVIIIe arrondissement, mais bientôt je suis prise par la poésie du spectacle.

Le quintette est déjà sur scène. C’est un quintette féminin. Maria-Carla Cialone, musicienne, mène discrètement le groupe des quatre autres chanteuses, Claude Palacios sa partenaire dans les duos de la Libelle Amoureuse, Michèle Cugnier, Françoise Delattre, Danielle Siramy. Leur mise évoque les personnages des livres de chansons illustrés par Boutet de Monvel,  avec le rose indien pour couleur dominante. Les mimiques et la gestuelle, accentuées par le maquillage et par une lumière contrastée, offrent des tableaux de style parfois naïf, parfois préraphaélite, avec les couronnes de fleurs.

Tout autour de la scène, des instruments de musique du monde jonchent coussins, tables basses et étoffes. Certains sont accrochés aux murs noirs. Pourtant aucun instrument de musique pour accompagner les chants, sauf lors des intermèdes où les chanteuses font toutes sortes de jeux sonores et même improvisent avec le public un concert à partir d’instruments rudimentaires.

Le spectacle d’une heure se déroule d’une seule traite, alternant chansons populaires et traditionnelles, canons, mélodies du monde, fredonnements et ambiances instrumentales. A un moment donné, l’une des chanteuses, Claude Palacios, ressort de derrière un paravent vêtue d’une tenue de prince oriental, bleu et or. Elle récite un long poème d’Yves Bonnefoy qu’accompagne la crépitation de la pluie, née de simples plastiques froissés. La récitation poétique apparaît ici comme variation du chant. Expérience renouvelée avec un poème d’Apollinaire : C’est le printemps viens-t’en Pâquette/Te promener au bois joli.

La tonalité d’ensemble est la gaieté, la légèreté, la recherche de l’harmonie. La facilité apparente est due au travail sur la respiration, le souffle et le silence. Dans tel chant révolutionnaire, la vivacité devient rebelle. Deux ou trois duos sont très applaudis: la voix de chacune y est mise en valeur, en particulier dans La Reine de cœur de Poulenc, sur un poème de Maurice Carême. On regretterait presque que les canons atténuent la singularité des voix. Le répertoire de chants remontant jusqu’à la Renaissance nous plonge dans un univers de paroles de chansons populaires ou savantes.

Antoine Geoffroy Dechaume, « saint patron » du quintette, est un musicien qui a contribué au XX° siècle à la redécouverte des musiques anciennes du XV° au XVIII° siècle. « Les plus humbles comme les plus grands chefs, selon Carla Cialone, chanteurs, instrumentistes, facteurs d’instruments, danseurs, chercheurs sont tous venus de par le monde suivre ses enseignements. Son accueil était d’une grande générosité et il témoignait autant d’attention aux plus simples novices qu’aux plus prestigieux professionnels ».

Elles pleurent des papillons. Poésie et magie. Avec rien, avec le souffle, la voix de chacune, avec des  mots simples et anciens, de la gaieté et un grand souci d’accorder les tonalités et les registres de chacune. Le travail de création n’apparaît pas mais explique les performances obtenues.

Un beau moment de plaisir partagé.
Le prochain spectacle est prévu en octobre 2013.

Passions premières, poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire: vidéo de la soirée de présentation

Le recueil de poèmes Passions premières, de Dominique Thiébaut Lemaire, a été présenté à l’ Espace Le Scribe L’Harmattan (19 rue Frédéric Sauton, 75006 Paris) le 27 septembre 2012.

Voici la vidéo d’introduction dont l’auteur est le directeur de l’Espace Le Scribe, qui l’a projetée au début de la présentation (textes de Dominique Thiébaut Lemaire; tableaux et illustrations de Sergio Birga; lectures de: Paul Henri Lersen, Joséphine Laurens, Yves Letourneur).

Vidéo introductive

 

« J. Edgar », de Clint Eastwood: police, pouvoir et sexe

John Edgar Hoover (Washington 1895-Washington 1972) a été de 1924 à sa mort, durant 48 ans, le premier directeur du BOI (Bureau Of Investigation) puis du FBI (Federal Bureau of Investigation), le principal service américain de police judiciaire et de renseignement intérieur. Il est celui qui est resté le plus longtemps à la tête d’une agence fédérale américaine, ayant servi sous huit présidents (Coolidge, Herbert Hoover, Roosevelt, Truman, Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon). Après sa mort, le Congrès a voté une loi limitant à dix ans la durée de fonction des directeurs du FBI. Lire la suite

Théâtre: L’homme inutile, de Iouri Olecha. Auteur: Martine Delrue

                                       Théâtre ou mise en théâtre ?

 

L’homme inutile,  de Iouri Olecha,  mise en scène Bernard Sobel , La Colline. Du 9 septembre au 8 octobre 2011.

Voici un homme entre deux siècles, né à la charnière, au tournant, en 1899, suspendu entre deux mondes, écartelé entre l’Ancien – le bourgeois- et le Nouveau – l’homme à créer. Lorsqu’il écrit, à Moscou, dans les dernières années de la Nouvelle Politique Economique, Iouri Olecha incarne cette opposition fondamentale dans une confrontation mythique : Abel et Caïn s’affrontent dans  l’Homme inutile ou la confrontation des sentiments, pièce qu’il a tirée  lui-même, en 1929,  de son  roman L’Envie, publié deux ans auparavant. Et en effet tout  oppose ces deux personnages.

 Andreï est l’aîné. L’union du socialisme et de la technique va permettre de réaliser la Grande Utopie. Ordonné, méticuleux, froid, sec et maigre, homme de maîtrise, à la mèche raide, Andreï gère le combinat alimentaire qui produira  bientôt des millions de saucissons à 35 kopecks. Nous le voyons, dès l’ouverture, dans son bureau haut perché, au sommet du praticable, à l’image des tours du décor, qui dressent vers le ciel leurs carreaux rouges. Sa prestance en impose. Tandis que ses costumes de plus en plus blancs disent sa transformation en capitaine d’industrie capitaliste, son humanité décroît. Pas de temps à consacrer à la jeune fille qu’il a ravie à son frère. Elle a beau tournoyer autour de lui, léger faune dansant, automate gracieux, elle ne le touche pas. Trop occupé déjà par le pouvoir sur les cités terrestres, il est séparé de tout attachement.

Face à lui, Abel l’homme à l’existence précaire, ici nommé Ivan, le frisé au chapeau melon, aux bonnes joues rebondies, apparemment le galeux, le sanguin, se fait remarquer par l’oreiller jaune qu’il promène partout. Diablotin qui affirme son goût pour le dieu des morts, à savoir les sentiments qui régnaient dans l’ancienne humanité, la vanité, l’envie, la jalousie, l’amour et que l’homme nouveau dédaigne ou ignore. Outrancier et désordonné, il endosse aussi le costume de l’auguste face au clown blanc sérieux et rationnel.

Autour d’eux gravite l’étudiant romantique traditionnel, incapable d’agir et désespéré.

C’est un spectacle qui regorge d’idées d’intéressantes. Pourtant le débat philosophique, l’opposition qui est au fondement même de la pièce, les allusions historiques (un médecin en blouse blanche, des ouvriers à la casquette emblématique) ne suffisent pas. Il manque à cette réflexion un milieu, une fin  et une intrigue plus resserrée. Pourquoi l’écrire sous forme théâtrale ? Malgré la gymnaste au ruban rouge, malgré les figures de clown, malgré des décors très réussis, malgré même la nef des fous qui apparaît au centre de la pièce et la présence remarquable des deux acteurs principaux, le temps paraît  long.  Or Olecha aimait écrire : «  Pas un jour sans une ligne », note-t-il dans son Journal. La farce grotesque des frères ennemis se lirait  plus volontiers dans un fauteuil.

 

                                                                                  Martine Delrue