Fille de peine ou de joie mais putain
Belle escorteuse ou péripatétique
Faisant la ronde autour du libertin
Soi disant tel mais d’humeur putassière
Grand amateur de leurs corps élastiques
Il est douteux qu’elles soient jacassières
La vérité ne sera pas publique
Elles tiendraient le mac entre leurs mains
En dévoilant ses mœurs proxénétiques
Aucune hélas ne prendra ce chemin
Les mots rapport performance boursière
Vont prudemment rester anatomiques
Dans le déni des dessous pécuniaires
La vérité ne sera pas publique
Désir plaisir ne sont que baratin
La liberté prétexte pathétique
Aux transactions prestations de catins
Achats de sexe et de rondeurs fessières
Ventes de chairs aux formes pneumatiques
Traite trafics de putes sans frontières
La vérité ne sera pas publique
L’amour vénal est un mal vénérien
Mais on prétend qu’il peut être hygiénique
Et le client le pauvre galantin
Qui se croit mec se frotte à la misère
Du sexe usé dans ce commerce antique
Ce sont des faits dont nul ne sera fier
La vérité ne sera pas publique
Les journalistes Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié en 2006 aux éditions Albin Michel un livre intitulé Sexus Politicus qui a eu sans doute un certain nombre de lecteurs, mais beaucoup trop peu si l’on en juge par les péripéties qui ont agité depuis cette date la vie politique française. En particulier, on peut trouver ahurissante la campagne médiatique menée en faveur du pré-candidat DSK et les sondages obtenus par lui, alors que Sexus Politicus, même pour un lecteur peu averti, annonçait clairement une catastrophe en cas d’élection.
Depuis cette affaire DSK, on a redécouvert la prostitution et le proxénétisme dans les hôtels, ainsi que l’hypocrisie glauque d’un prétendu « libertinage ».
Il est question à présent d’une proposition de loi visant à sanctionner les clients des prostituées (sans interdire formellement la prostitution!).
Le journal Causeur (dans son numéro de novembre) et son site internet causeur.fr à partir du 30 octobre se sont « mobilisés » contre cette proposition de loi. Il a publié un manifeste des 343 « salauds » (« Touche pas à ma pute ») inspiré notamment par F. Beigbeder de Lui, et lancé une pétition, en utilisant les mots de précédentes campagnes pour l’avortement et contre le racisme. Causeur prétend que « sous couvert de protéger les femmes, c’est une guerre contre les hommes, considérés comme des délinquants sexuels en puissance, qui a été ouverte » par la proposition de loi. Il affirme : « Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté ».
Touche pas à ma pute!
Texte du « manifeste des 343 salauds »
« En matière de prostitution, nous sommes croyants, pratiquants ou agnostiques.
Certains d’entre nous sont allés, vont, ou iront aux « putes » – et n’en ont même pas honte.
D’autres, sans avoir été personnellement clients (pour des raisons qui ne regardent qu’eux), n’ont jamais eu et n’auront jamais le réflexe citoyen de dénoncer ceux de leurs proches qui ont recours à l’amour tarifé.
Homos ou hétéros, libertins ou monogames, fidèles ou volages, nous sommes des hommes. Cela ne fait pas de nous les frustrés, pervers ou psychopathes décrits par les partisans d’une répression déguisée en combat féministe. Qu’il nous arrive ou pas de payer pour des relations charnelles, nous ne saurions sous aucun prétexte nous passer du consentement de nos partenaires. Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça. Et nous refusons que des députés édictent des normes sur nos désirs et nos plaisirs.
Nous n’aimons ni la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains. Et nous attendons de la puissance publique qu’elle mette tout en œuvre pour lutter contre les réseaux et sanctionner les maquereaux.
Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité. Et quand l’Etat s’occupe de nos fesses, elles sont toutes les trois en danger.
Aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ?
Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu. Contre le sexuellement correct, nous entendons vivre en adultes.
Tous ensemble nous proclamons :
Touche pas à ma pute ! »
***
En mettant de côté les soupçons d’intérêts mercantiles (faire vendre les journaux Causeur et Lui), on comprend l’idée de départ, qui est de s’opposer au conformisme moral et au politiquement correct. Mais le conformisme moral n’aurait-il pas changé de camp ? Il est de bon ton, désormais, de se poser en esprit libre, en détournant la formule de saint Augustin « dilige et quod vis fac » (aime et fais ce que voudras).
Causeur cause en proclamant : « Nous défendons la liberté ». Il faut mettre en cause, à ce sujet, le mythe de la « geisha », cultivée, libre de disposer d’elle-même, un mythe qui encombre la tête de beaucoup de « salauds ». S’il y a un domaine où la liberté n’existe pas, c’est bien celui de la prostitution. C’est évident pour la prostituée qui vit sous la contrainte, c’est vrai aussi pour le client, prisonnier du désir de fric qui anime la putain et son souteneur.
Quant à l’intimité (« Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité »), ce n’est que littérature, effectivement. La prostitution, loin de relever de l’intime, se déploie dans l’espace public, comme on le voit aujourd’hui à Paris, par exemple. Le comble, c’est que beaucoup de bien-pensants demandent qu’elle reste dans les rues et les espaces verts, et même qu’elle s’y étende, sous prétexte qu’elle doit rester visible pour que leurs associations compatissantes (qui sont aussi des « lobbies ») puissent mieux s’en occuper !
Donc, les pouvoirs publics ont bien raison d’intervenir. Mais ils devraient le faire plus vigoureusement contre une activité oppressive accaparant l’espace public.
Dominique Thiébaut Lemaire